La théorie économique dominante se présente comme le meilleur état de la science dans un mouvement continu de progrès à travers les siècles. Adhérez-vous à cette représentation ?En tant que macroéconomiste, clairement non ! Au cours des quarante dernières années, l’économie a plutôt évolué vers la scolastique : supposons un individu rationnel, aux anticipations parfaites, dans une économie qui revient toujours vers l’équilibre, etc. Une approche qui obscurcit la compréhension de l’économie. Les outils – les mathématiques, les modèles, les statistiques – sont très performants, mais la défaite est totale quant à la construction d’une pensée globale éclairante sur l’économie.
Il n’existe pas un esprit tout-puissant qui conceptualiserait de mieux en mieux des catégories pures avant de les projeter sur le monde réel : les théories économiques et sociales sont toujours situées localement et dans le temps. Les économistes ont l’impression que le monde a toujours fonctionné comme celui qu’ils connaissent, ils oublient trop souvent l’histoire économique, que généralement ils ne connaissent pas.
Vous dites que les économistes sont plus contraints au conformisme que les sciences de la nature et que les autres sciences sociales. Pourquoi ?Cela s’explique par deux raisons. La première tient au fait que le monde économique est très incertain. Dans les sciences dures, on arrive à bâtir des consensus sur les lois de la nature. En économie, les processus à l’œuvre sont plus complexes et variables dans le temps et l’espace, on fait face à une incertitude radicale quant à la bonne explication des phénomènes. De ce fait, cela favorise le mimétisme, car mieux vaut se tromper avec les autres que de prendre le risque d’avoir raison tout seul. Vous pourriez me dire : c’est pareil en sociologie. Mais c’est là qu’intervient la seconde raison,…