Le 12 février 2025, le Conseil Présidentiel de Transition a pris une décision d’une importance capitale pour l’avenir de la Télévision Nationale d’Haïti (TNH) et de la Radio Nationale d’Haïti (RNH) : la création d’une Commission Technique de Restructuration chargée d’évaluer ces institutions et de proposer des mesures pour assurer leur bon fonctionnement.
Si l’initiative semble, à première vue, répondre à un besoin urgent, plusieurs zones d’ombre méritent une attention particulière.
Une contradiction majeure : l’auto-évaluation d’un système défaillant
Le gouvernement justifie cette restructuration par un constat clair : la TNH et la RNH souffrent de graves dysfonctionnements institutionnels. Pourtant, l’un des membres désignés pour piloter cette réforme n’est autre que l’actuel directeur général de la TNH. Dès lors, une question légitime se pose : comment peut-on confier à un acteur du système en place la mission d’évaluer sa propre gestion et de proposer des solutions ?
Une véritable restructuration exige une approche indépendante, menée par des experts capables d’apporter un regard neuf et des solutions innovantes. En reconduisant des responsables issus du système actuel, cette commission risque de reproduire les mêmes erreurs et d’entretenir une gestion inefficace au détriment du service public.
Un contexte de bouleversements majeurs : quelle place pour un média d’État fort ?
Haïti traverse une période critique avec plusieurs défis nationaux de taille :
- Une réforme constitutionnelle en discussion
- Des élections attendues pour sortir de la crise
- Une restructuration institutionnelle plus large
Dans ce contexte, la question de l’indépendance et du renforcement des médias publics est essentielle. Une TNH modernisée et bien équipée devrait être un pilier de la transparence démocratique, en garantissant un accès équitable à l’information et en évitant les manipulations partisanes.
Or, à travers cette initiative, on peut se demander si l’objectif réel est d’affaiblir davantage la TNH au profit du secteur privé, comme cela a déjà été le cas dans d’autres domaines stratégiques (éducation, santé, agriculture). Assiste-t-on à une tentative de marginalisation progressive des médias d’État pour renforcer un monopole privé sur l’information nationale ?
Quelle vision pour la TNH ? Modernisation ou démantèlement ?
Si l’intention du gouvernement est véritablement de restructurer la TNH et la RNH, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Une commission véritablement indépendante, composée de professionnels du secteur audiovisuel, d’experts en gestion publique et de représentants de la société civile.
- Un plan clair et transparent, définissant les objectifs, les étapes et les moyens alloués pour la modernisation des infrastructures et du contenu.
- Un engagement en faveur de la souveraineté médiatique, afin d’éviter que cette restructuration ne soit une excuse pour démanteler progressivement un média public essentiel à la démocratie haïtienne.
En l’absence de ces garanties, la TNH risque de suivre le même chemin que d’autres institutions publiques, progressivement vidées de leur substance avant d’être absorbées par des intérêts privés. Haïti a besoin d’un service public audiovisuel fort, capable d’informer, d’éduquer et de promouvoir la diversité culturelle nationale. Cette restructuration ne doit pas être une manœuvre politique, mais une opportunité réelle de modernisation et de renforcement du rôle des médias d’État.
La vigilance citoyenne est de mise. L’avenir de la TNH et de la RNH ne peut être décidé dans l’opacité. Une réforme mal engagée risque de sceller le sort d’une institution clé, au détriment de l’intérêt général.
Nancy ARCELIN
Secrétaire générale adjointe du Syndicat des Employés des Médias d’État (SEME)