Dans son article passionnant intitulé « Une loi peu connue de 1798 pourrait être un élément clé des plans d’expulsion de Trump », Catherine Shoichet, journaliste chevronnée de CNN, examine l’intention de l’ancien président Donald Trump de tirer parti de l’Alien Enemies Act de 1798 dans le cadre de son projet d’initiative d’expulsion massive. Mme Shoichet, réputée pour sa couverture exceptionnelle des questions d’immigration, analyse en profondeur les subtilités juridiques, le contexte historique et les implications potentielles de la mise en œuvre de cette législation séculaire. Son enquête détaillée suscite d’importantes discussions sur l’aspect pratique et les considérations éthiques d’une telle proposition.
Comprendre la législation de 1798
La loi sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act) est une composante de la loi plus large sur les ennemis étrangers et la sédition (Alien and Sedition Acts), promulguée en 1798 sous la présidence de John Adams.
Au cours de cette période, les inquiétudes généralisées concernant l’influence française dans le cadre d’un conflit naval non officiel ont incité les législateurs à accorder une autorité présidentielle étendue pour la détention et l’expulsion de citoyens de nations hostiles.
« La législation est née des inquiétudes suscitées par la Révolution française… Son objectif premier était de supprimer la dissidence politique des immigrants sympathisants de la France », explique Mae Ngai, professeur d’histoire à l’université de Columbia, lors d’une conversation avec Shoichet. Alors que d’autres lois contemporaines sont devenues caduques, l’Alien Enemies Act est toujours en vigueur.
M. Trump a souvent fait référence à cette loi, affirmant qu’elle lui conférait la « formidable autorité » nécessaire pour éliminer les personnes qu’il considère comme menaçantes. Lors d’un rassemblement en novembre, M. Trump a déclaré : « Voilà jusqu’où nous avons dû remonter, parce qu’à l’époque, nous ne jouions pas à des jeux ». Il a notamment laissé entendre que la loi pourrait faciliter le démantèlement de « tous les réseaux criminels de migrants opérant sur le sol américain ».
Toutefois, l’enquête de M. Shoichet, étayée par des avis juridiques d’experts, met en évidence les difficultés constitutionnelles et pratiques que pose l’interprétation de M. Trump. Si les pouvoirs présidentiels conférés par cette loi sont importants dans certains scénarios de guerre, les juristes s’accordent à dire que son application au-delà de ces circonstances pourrait se heurter à des problèmes constitutionnels.
Comprendre la portée de la loi sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act)
La loi énonce expressément les conditions nécessaires à sa mise en œuvre :
- Il doit y avoir une déclaration de guerre officielle entre les États-Unis et une autre nation , ou
- Un gouvernement étranger doit tenter ou menacer d’une invasion ou d’une incursion militaire.
- La proclamation présidentielle de ces circonstances est obligatoire.
Dans ces conditions, la loi autorise la détention, « la contention, la sécurité et l’éloignement des ennemis étrangers » de la nation hostile, comme l’explique Shoichet. Historiquement, cette législation visait les citoyens des nations officiellement en guerre avec les États-Unis, comme l’Allemagne pendant les deux guerres mondiales.
Possibilités d’application contemporaine
M. Shoichet présente les points de vue critiques d’éminents experts juridiques, dont Katherine Yon Ebright du Brennan Center de l’université de New York. Mme Ebright soutient que l’application de la loi proposée par M. Trump pour lutter contre les gangs ou les cartels ne correspond pas du tout à l’objectif visé.
« La situation actuelle ne présente pas les éléments essentiels requis par la loi – il n’y a pas d’invasion militaire ou d’incursion prédatrice menée par une nation ou un gouvernement étranger légitime », souligne Mme Ebright. Elle affirme en outre que l’utilisation de la loi de cette manière constituerait « une application inappropriée de l’autorité en temps de guerre ».
Jean Lantz Reisz, qui codirige la clinique d’immigration de la Gould School of Law de l’université de Californie du Sud, partage ce point de vue. Elle suggère que la motivation sous-jacente de M. Trump est le contournement de la procédure. « Trump semble invoquer cette législation comme un mécanisme permettant de contourner les règles de procédure établies et de rationaliser les arrestations et les déportations », explique Mme Reisz à M. Shoichet.
Selon l’analyse de Shoichet, les déportations exécutées en vertu de l’Alien Enemies Act contourneraient le système judiciaire de l’immigration actuellement débordé, où les résolutions de cas s’étendent souvent sur plusieurs années. Toutefois, M. Reisz prévient que cette stratégie se heurterait probablement à une opposition juridique immédiate. Bien que la loi permette aux personnes détenues d’intenter une action en justice, M. Ebright note que « les procédures habituelles de contrôle judiciaire ne s’appliqueraient pas automatiquement ».
Qui serait visé ?
La rhétorique de Trump se concentre constamment sur les membres de gangs, les associés de cartels et les trafiquants de stupéfiants. Pourtant, l’enquête de M. Shoichet révèle un obstacle juridique fondamental : ces entités ne constituent pas des gouvernements étrangers.
« La distinction est claire : les membres de cartels et les affiliés de gangs ne peuvent pas être considérés comme des gouvernements étrangers », explique Mme Reisz. Elle prévient que les tentatives visant à classer les acteurs non étatiques dans la catégorie des puissances étrangères hostiles se heurteraient à une forte résistance juridique.
George Fishman, anciennement avocat général adjoint au ministère de la sécurité intérieure, a exploré cette perspective dans une étude récente. Tout en reconnaissant le champ d’application restreint de la loi, il suggère son application potentielle dans des scénarios impliquant des « États mafieux » où le crime organisé a profondément infiltré les structures gouvernementales.
« On pourrait éventuellement constituer un dossier convaincant pour appliquer l’Alien Enemies Act dans de telles circonstances », explique M. Fishman à Shoichet, même s’il admet qu’il y aurait des “défis considérables ” à relever devant les tribunaux.
Précédents historiques : Un héritage troublé
M. Shoichet souligne que l’Alien Enemies Act n’a été appliqué que trois fois au cours de l’histoire des États-Unis, à chaque fois lors de guerres officiellement déclarées : la guerre de 1812, la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale. L’application la plus controversée a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, ciblant les ressortissants allemands, italiens et japonais.
M. Ebright souligne le “passé controversé » de la loi , en insistant sur le rôle qu’elle a joué en permettant une discrimination fondée sur la nationalité plutôt qu’en répondant à de véritables menaces pour la sécurité nationale. « La loi a conduit à l’internement de plus de 15 000 personnes d’origine allemande et italienne, tandis que des centaines de milliers de non-citoyens de ces origines ont été soumis à de sévères restrictions », révèle-t-elle à Shoichet.
Les détentions autorisées par l’Alien Enemies Act étaient distinctes du vaste programme d’internement qui a touché plus de 100 000 Américains d’origine japonaise et qui a été mis en œuvre par un décret du président Franklin D. Roosevelt. Toutefois, M. Ebright souligne que ces deux cas constituent des précédents historiques. « Cette législation ne devrait pas être utilisée comme un instrument permettant de cibler des communautés spécifiques », affirme-t-elle.
Implications modernes : Questions juridiques et morales
Si les références de M. Trump à l’Alien Enemies Act relèvent avant tout de la rhétorique politique, l’enquête de Mme Shoichet révèle des complexités importantes. Les juristes consultés dans le cadre de ses recherches s’accordent à dire que toute tentative d’application de cette législation de temps de guerre en temps de paix ou à l’encontre d’acteurs non gouvernementaux se heurterait probablement à des difficultés judiciaires immédiates.
M. Ebright met en garde contre le dangereux précédent qu’une telle action pourrait créer.
« Je reste optimiste quant au fait que les autorités judiciaires reconnaîtront le défaut fondamental de caractériser la migration comme une invasion, ou de tenter d’assimiler des entités non étatiques à des gouvernements étrangers », explique-t-elle à Shoichet.
George Fishman évoque d’autres applications potentielles de la législation, telles que son utilisation possible contre des citoyens iraniens ou le renvoi d’étudiants chinois en période de tensions diplomatiques. Toutefois, le rapport de Shoichet indique que ces scénarios restent purement hypothétiques.
Efforts d’abrogation et perspectives d’avenir
Plusieurs législateurs démocrates, au premier rang desquels la sénatrice Mazie Hirono d’Hawaï, ont plaidé en faveur de l’abolition de la loi sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act). Mme Hirono la qualifie de « loi discriminatoire utilisée historiquement pour persécuter injustement les communautés d’immigrés aux États-Unis ». Malgré ces efforts, les tentatives d’abrogation n’ont pas réussi à gagner suffisamment de terrain au Congrès.
L’analyse de M. Shoichet conclut en soulignant la présence persistante de la loi et son potentiel d’utilisation abusive. Bien que le message de campagne de M. Trump puisse trouver un écho auprès de ses partisans, les experts interrogés préviennent que toute tentative de ressusciter l’Alien Enemies Act se heurterait à d’importants défis juridiques, moraux et historiques.
Un retour au passé ou un dangereux précédent ?
L’enquête exhaustive de Catherine Shoichet permet aux lecteurs de comprendre en profondeur l’Alien Enemies Act, en examinant sa mise en œuvre historique et ses implications juridiques contemporaines. Son rapport démontre de manière concluante que l’utilisation d’une loi séculaire datant de la guerre pour répondre aux défis modernes de l’immigration représenterait un développement sans précédent et controversé.
L’enquête de Mme Shoichet rappelle l’importance de la perspective historique et des protections juridiques dans les discussions sur la politique d’immigration. Comme le soulignent ses sources expertes, l’Alien Enemies Act représente à la fois un artefact historique et un avertissement pour l’élaboration des politiques contemporaines.
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