Les autorités américaines exploitent les données de passagers aériens pour traquer les immigrants.
L’administration Trump a discrètement mis en place un système de surveillance massive qui transforme chaque vol intérieur américain en opportunité de détention et d’expulsion pour les immigrants en situation irrégulière. Cette initiative, révélée par le New York Times dans une enquête publiée jeudi, soulève de profondes questions sur les limites entre sécurité aérienne et application des lois migratoires.
Depuis mars dernier, la Transportation Security Administration (TSA) transmet plusieurs fois par semaine à Immigration and Customs Enforcement (ICE) les listes complètes de tous les passagers qui transitent par les aéroports américains. L’agence d’immigration croise ensuite ces informations avec sa propre base de données pour identifier les personnes visées par des ordres d’expulsion, puis dépêche des agents sur place pour procéder aux arrestations, selon ce qu’a fait savoir le journal américain NewYork Times.
Cette coopération entre agences fédérales marque une rupture historique.
Selon un ancien responsable de la TSA cité par le Times, l’agence de sécurité aérienne « ne s’impliquait pas auparavant dans les affaires criminelles ou migratoires au niveau domestique ». Les compagnies aériennes fournissent depuis longtemps les informations sur leurs passagers à la TSA après une réservation, mais ces données servaient uniquement à des vérifications de sécurité nationale, notamment contre les listes de surveillance terroriste.
Le nombre exact d’arrestations résultant de ce programme reste flou, mais un ancien responsable d’ICE a confié au journal que dans sa région, 75% des signalements issus du système aboutissaient à des interpellations.
Le cas emblématique d’Any Lucía López
L’arrestation qui a mis en lumière l’existence de ce programme est celle d’Any Lucía López Belloza, une étudiante hondurienne de 19 ans appréhendée le 20 novembre à l’aéroport Logan de Boston. Son histoire illustre la rapidité et l’efficacité redoutable du dispositif : arrêtée avant d’embarquer pour le Texas où elle comptait rejoindre sa famille pour Thanksgiving, elle a été expulsée vers le Honduras deux jours plus tard.
Des documents internes obtenus par le Times montrent que l’information sur son vol provenait du Pacific Enforcement Response Center, un bureau d’ICE en Californie qui joue un rôle central dans le programme. Ce centre transmet quotidiennement des dizaines de « tuyaux » aux agents d’immigration à travers le pays, incluant les numéros de vol, les heures de départ et parfois des photos des cibles – souvent quelques heures seulement avant le décollage.
Le document explique qu’il s’agit d’une « collaboration avec la Transportation Security Administration pour envoyer des pistes exploitables sur le terrain concernant des étrangers avec une ordonnance d’expulsion définitive qui semblent avoir un vol imminent programmé », New York Times.
López n’avait aucun casier judiciaire. Étudiante en première année de commerce au Babson College, elle ignorait qu’un ordre d’expulsion avait été émis contre elle en 2018, alors qu’elle était mineure. Elle a raconté au Times que sa carte d’embarquement n’avait pas fonctionné, et qu’un agent lui avait dit de se rendre au service client. « C’est là qu’ils m’attendaient », a-t-elle expliqué.
« ‘Oh, vous êtes Any' », lui a dit l’un des agents fédéraux, selon son témoignage. Elle se souvient avoir insisté pour prendre son vol, mais l’agent lui a répondu : « Je ne pense pas que vous serez même dans cet avion. »
Une stratégie assumée par l’administration Trump
Le département de la Sécurité intérieure, qui chapeaute à la fois ICE et la TSA, défend cette approche sans détour. « Le message à ceux qui sont dans le pays illégalement est clair : la seule raison pour laquelle vous devriez prendre l’avion est de vous auto-expulser », a déclaré Tricia McLaughlin, porte-parole du département.
Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large visant à multiplier les arrestations et expulsions. Plus tôt cette année, Stephen Miller, conseiller principal de la Maison-Blanche, avait fixé un objectif de 3 000 arrestations d’immigrants par jour et rencontré les hauts responsables d’ICE pour discuter des moyens d’augmenter les expulsions.
Scott Mechkowski, ancien directeur adjoint du bureau new-yorkais d’ICE, a salué le programme dans des propos rapportés par le Times : « L’administration a transformé les voyages de routine en multiplicateur de force pour les expulsions, identifiant potentiellement des milliers de personnes qui pensaient pouvoir échapper à la loi simplement en montant dans un avion. »
Les organisations de défense des immigrants dénoncent vigoureusement ce qu’elles considèrent comme une campagne de terreur. « C’est une autre tentative de terroriser et de punir les communautés et rendra les gens terrifiés à l’idée de quitter leur domicile de peur d’être injustement détenus et expulsés du pays avant d’avoir la chance de contester la détention », a déclaré Robyn Barnard, directrice principale du plaidoyer pour les réfugiés chez Human Rights First.
Claire Trickler-McNulty, ancienne responsable d’ICE sous l’administration Biden, a soulevé des préoccupations pratiques dans le Times : « Si vous avez plus d’agents effectuant des arrestations dans les aéroports, cela exerce une pression supplémentaire sur le système, les retards et complications peuvent énerver et effrayer certains voyageurs, et ceux qui ne sont pas sûrs de leur statut s’éloigneront des voyages aériens. »
Au-delà des aéroports : une mobilisation générale des données fédérales
Le programme aérien n’est qu’un volet d’une offensive plus vaste. L’administration Trump cherche à exploiter toutes les bases de données fédérales pour traquer les immigrants. Plus tôt cette année, l’Internal Revenue Service (IRS) avait accepté de fournir les adresses de migrants à ICE, une collaboration bloquée en novembre par un tribunal fédéral.
Le cas de Marta Brizeyda Renderos Leiva, une Salvadorienne arrêtée fin octobre à l’aéroport de Salt Lake City, illustre également l’efficacité du système. Les documents internes montrent que ses informations de vol avaient été transmises aux agents locaux par le même bureau californien. Une vidéo de son arrestation montre la femme criant alors que les agents la sortaient de force de l’aéroport.
Aujourd’hui au Honduras, Any Lucía López tente de trouver un moyen de poursuivre ses études universitaires. Elle a confié au Times qu’elle regrettait d’aller à l’église avec sa famille, de faire ses courses dans les supermarchés texans et de manger la cuisine de sa mère. Son voyage surprise pour Thanksgiving s’est transformé en expulsion définitive, symbole d’une politique migratoire qui ne fait plus de distinction entre les lieux de vie quotidienne et les zones d’application de la loi.
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D’après un reportage de Hamed Aleaziz, New York Times



