Alors que le gouvernement dominicain se livre à une campagne agressive de déportation des immigrants haïtiens, souvent jugée par des organisations comme raciste, les Dominicains à Porto Rico font face à des expériences similaires.
Depuis la reprise des grandes opérations de déportation sous le second mandat de Donald Trump, les rues de Porto Rico sont de nouveau le théâtre d’arrestations menées par les agents de l’immigration américaine (ICE).
Et si la majorité des interpellés sont originaires de la République dominicaine, une question sensible refait surface : celle du profilage racial.
Dolores Espiritusanto, résidente dominicaine naturalisée Américaine, vit dans le quartier de Barrio Obrero, l’un des plus densément peuplés par les immigrants.
Devant sa maison, elle confie vivre dans la peur constante d’un contrôle arbitraire : « Tu crois qu’il y en a juste quelques-uns ? Il y en a beaucoup », dit-elle en parlant des agents de l’ICE. Elle explique que, malgré ses années passées à Porto Rico, son accent trahit toujours ses origines. « Quand je parle, les gens savent que je ne suis pas Portoricaine », raconte-t-elle en riant, mais l’inquiétude est bien réelle, a rapporté NPR.
Elle garde dans sa voiture une copie de sa carte de passeport américain, qu’elle montre en disant : « Si je leur montre ça, ils n’ont pas le droit de m’emmener. » Pourtant, même en étant en règle, la peur subsiste. « Quand ils t’arrêtent, tu deviens nerveuse, même si tu es légale. »
Selon les chiffres communiqués par l’ICE, environ 500 arrestations ont été effectuées sur l’île depuis le retour au pouvoir de Donald Trump. Parmi ces interpellés, 75 % sont des ressortissants dominicains. Certaines de ces arrestations ont lieu sur les lieux de travail, d’autres simplement dans la rue. Ce qui inquiète, c’est la récurrence d’un schéma : des agents approchant des groupes de personnes noires, les écoutant parler, puis exigeant leurs papiers.
Pour José Rodriguez, président du Comité dominicain des droits humains, cela ne fait aucun doute : « 80 % des Dominicains sont noirs. C’est pour ça qu’ils sont victimes de profilage racial. Parce qu’ils sont noirs. » Il suit de près les opérations de l’ICE et rapporte plusieurs cas de personnes en situation régulière arrêtées simplement parce qu’elles ne portaient pas leur carte de résident sur elles. Certaines n’ont été relâchées qu’après vérification.
Rodriguez résume la situation ainsi : « Il n’y a qu’une seule raison pour laquelle des résidents légaux, qui n’ont rien fait de mal, sont arrêtés sous prétexte qu’ils seraient en situation irrégulière : c’est parce qu’ils sont victimes de profilage. »
Face à ces accusations, Rebecca Gonzalez-Ramos, responsable de l’unité d’enquêtes de l’ICE à Porto Rico (HSI), nie toute discrimination. « Je ne suis pas d’accord avec ça du tout. Ce serait très irresponsable de notre part d’intervenir contre des individus uniquement parce qu’ils ont un accent dominicain », a-t-elle déclaré à NPR.
Elle reconnaît que ses agents peuvent questionner des personnes dans la rue, mais affirme que cela se fait dans le cadre de la recherche d’individus précis faisant l’objet d’un mandat d’expulsion. « Surtout ici à Porto Rico, nous sommes de toutes les couleurs. Se baser sur la couleur ou l’accent, c’est illégal. Et ce n’est pas la manière dont HSI travaille. Nous agissons selon les renseignements, avec des mandats d’arrestation ou des ordres d’expulsion finaux. »
Cependant, pour beaucoup de Dominicains sur l’île, ces propos ne suffisent pas à dissiper le malaise.
La pasteure Nilka Marrero, qui dirige une église dans le quartier dominicain, en témoigne. Portoricaine, elle a la peau claire, les yeux bleus, les cheveux blonds. « Je me promène dans le barrio, je n’ai jamais été arrêtée. Personne ne me regarde même. » Pour elle, la réalité est implacable : « Tu es noir, tu marches comme un Dominicain ou tu ressembles à un Dominicain, on va t’embarquer. »
Cette réalité l’oblige à tenir des conversations difficiles avec ses fidèles. « Je leur dis d’essayer de masquer leur origine, de parler l’espagnol portoricain, pas dominicain, de se fondre un peu pour ne pas être repérés. » Elle reconnaît à contrecœur la nécessité de tels conseils. « Tu dois vraiment coiffer tes cheveux comme ça ? Quand tu vas à l’épicerie, tu dois porter ce foulard ? » Elle conclut, résignée : « Je déteste leur dire de cacher ce qu’ils sont, mais je ne veux pas qu’ils se fassent arrêter. »
Si les Dominicains sont omniprésents dans la société portoricaine, ils restent vulnérables à une discrimination raciale enracinée dans l’histoire de l’archipel.
Leurs expériences à Porto Rico sont similaires à celles que vivent les Haïtiens dans leur pays d’origine, où des organisations de défense des droits des immigrants parlent d’une discrimination raciale sans précédent.
Tous les jours, des milliers d’Haïtiens sont rapatriés en Haïti, parmi eux des enfants et des femmes enceintes qui ont été arrêtées sur les lits d’hôpitaux alors qu’elles s’apprêtaient à donner naissance.
En 2013, le Tribunal constitutionnel de la République dominicaine a rendu une décision très controversée — l’arrêt 168-13 — qui a profondément modifié le droit à la nationalité des personnes d’origine haïtienne nées sur le sol dominicain. Appliquée rétroactivement jusqu’en 1929, cette mesure a restreint le principe du droit du sol, affectant jusqu’à 245 000 individus, dont beaucoup se sont retrouvés apatrides, selon le Center for Migration Studies de New York.
Crédit : Suivant un reportage d’Adrian Florido, NPR News, San Juan. Informations complémentaires issues du New York Times et de déclarations officielles de l’ICE.