Un ex-directeur par intérim de l’ICE met en garde contre les tactiques employées lors des opérations d’immigration à Chicago

Emmanuel Paul
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Emmanuel Paul
Journalist/ Storyteller
Emmanuel Paul est un journaliste chevronné et un conteur accompli, animé par un engagement profond envers la vérité, la communauté et l’impact social. Il est le...

À Chicago, les manifestations se multiplient depuis le lancement d' »Operation Midway Blitz », une série d’interventions visant à appréhender et expulser des personnes en situation irrégulière. Le 4 octobre, dans le quartier de Brighton Park, des agents fédéraux ont été pris à partie par des riverains et des militants après ce que ces derniers décrivent comme la blessure par balle d’une femme lors d’une opération ; du gaz lacrymogène a été utilisé pour disperser la foule. Dans ce climat de tension, l’ancien directeur par intérim de l’Agence fédérale de l’immigration et des douanes (ICE), John Sandweg, qui a servi de 2013 à 2014 sous la présidence de Barack Obama, exprime ses craintes quant à une dérive dans les méthodes d’intervention.

Interrogé dans une émission radiophonique, John Sandweg a fait part de ses inquiétudes face aux tactiques observées à Chicago, tant lors des opérations que des arrestations et des confrontations avec des manifestants. Il rappelle que les règles d’usage de la force restent théoriquement constantes, mais que les équipes mobilisées ont, par leur formation, l’habitude de contextes armés et de situations à haut risque, bien différents du maintien de l’ordre auprès de foules civiles.

« S’occuper de manifestants qui exercent leurs droits consacrés par le premier amendement est un travail d’une extrême finesse, qui exige une formation approfondie », déclare John Sandweg. « Cette responsabilité, normalement, revient à la police locale. Or nous adoptons une approche très confrontationnelle. »

Invité à comparer la période où il dirigeait l’ICE et la situation actuelle, John Sandweg souligne le ciblage comme ligne de fracture principale.

« S’agissant du fonctionnement de l’ICE, oui, il y a eu, évidemment, des chiffres record d’expulsions sous l’administration Obama, mais elles étaient très précisément axées sur deux populations, n’est-ce pas ? Des populations criminelles », a-t-il expliqué.

« Ensuite, pour les opérations menées hors site — quand l’ICE se déployait dans une ville comme Chicago — nous le faisions de manière très ciblée. Avant que les agents ne prennent la rue, un important travail d’enquête servait à identifier les cibles. »

« Aujourd’hui, nous voyons par exemple des agents de la patrouille frontalière défiler au centre-ville de Chicago pour contrôler l’identité des personnes. C’est l’exact contraire d’une approche ciblée. C’est une méthode ostentatoire et publique. »

La presse nationale a récemment rapporté que l’ICE investit dans la reconnaissance faciale, le scannage de l’iris et des outils de piratage à distance des téléphones. John Sandweg confirme que certaines technologies existent depuis des années au sein de l’appareil sécuritaire, tout en rappelant leur caractère controversé.

« Certaines technologies ont déjà été utilisées par l’agence. D’autres, du moins à l’époque où j’étais au Département de la sécurité intérieure et à l’ICE, étaient considérées comme controversées », a-t-il précisé.

« Nous les utilisions, par exemple, pour des enquêtes criminelles transfrontalières : ces outils pouvaient aider à déterminer quel conteneur fouiller parce qu’il pouvait contenir des stupéfiants. »

« Ces technologies peuvent aussi servir à la mission de l’ICE contre l’exploitation d’enfants. Le problème, ici, c’est que l’administration actuelle a déclaré en substance : ‘Nous allons mettre de côté ce type d’enquêtes et rediriger tout le personnel vers la mission civile d’exécution du droit de l’immigration.' »

« De toute évidence, cela suscite de sérieuses inquiétudes : ces technologies pourraient être déployées contre des citoyens qui ne commettent aucun crime, mais exercent simplement leur droit, garanti par la Constitution, de s’opposer à cet effort de déportations massives. »

Des agents placés dans une position difficile

Alors que des agressions d’agents ont été signalées et que la Maison-Blanche affirme agir, jusqu’à demander à des entreprises technologiques de retirer des applications permettant de suivre les mouvements des forces fédérales, John Sandweg plaide pour une approche double : sécuriser les personnels tout en désescaladant les tensions.

« J’éprouve beaucoup de sympathie pour les agents, pour les femmes et les hommes de l’ICE. La très grande majorité se sont engagés pour rendre ce pays plus sûr. Ils l’ont fait pour les bonnes raisons », a-t-il affirmé.

« Je pense qu’on les place dans une position extrêmement difficile. On leur demande de mener une mission de déportations massives. Cette mission déclenche des protestations, et on leur confie aussi la réponse à ces protestations. Or ils n’ont ni formation, ni expérience pour cela. »

« Par ailleurs, ils deviennent la cible même des manifestations. Les agressions sont réelles et l’agence doit protéger ses effectifs. Malheureusement, il existe des choix tactiques qui permettraient de réduire la vulnérabilité des agents et de désescalader la situation — mais ils ne sont pas mis en œuvre. »

« Il est assez clair que l’administration ne semble pas intéressée par une désescalade, pour l’instant. »

L’ancien responsable fédéral décrit un corps professionnel sous tension, où dominent la frustration et le sentiment d’une dégradation de la sécurité globale.

« La très grande majorité des agents, si je me fie à mes échanges, sont extrêmement frustrés, et l’on ressent, de manière écrasante au sein de l’agence, qu’en conséquence de tout cela, le pays est un peu moins sûr. »

La contestation contre Operation Midway Blitz s’est amplifiée dans l’agglomération de Chicago à mesure que se sont succédé les opérations : usage de gaz lacrymogène contre des manifestants, interpellations de citoyens américains, et au moins une intervention au cours de laquelle des agents ont descendu en rappel depuis un hélicoptère pour procéder à une arrestation. Les organisations de terrain dénoncent un changement d’échelle et de méthode, bien au-delà des pratiques de ciblage revendiquées par d’anciens responsables.

Par la rédaction — D’après une interview radiophonique de John Sandweg, ancien directeur par intérim de l’ICE (2013-2014), 20 octobre 2025.

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