Trop effrayée d’être déportée, une femme haïtienne meurt en accouchant chez elle en République dominicaine

Emmanuel Paul
Par
Emmanuel Paul
Journalist/ Storyteller
Emmanuel Paul est un journaliste chevronné et un conteur accompli, animé par un engagement profond envers la vérité, la communauté et l’impact social. Il est le...

Lourdia Jean Pierre, une Haïtienne en situation irrégulière en République dominicaine, est décédée le 9 mai dernier dans des circonstances tragiques après avoir donné naissance à son enfant chez elle, dans une petite habitation précaire de la province d’El Seibo.

Trop terrorisée à l’idée d’être arrêtée puis expulsée, la femme de 32 ans avait refusé d’accoucher à l’hôpital, malgré les risques.
« Elle a accouché sans problème au début, tout semblait aller bien. Mais ensuite, elle a commencé à suffoquer », a raconté son mari, Ronald Jean, au journal The Guardian.

Il a tenté d’alerter les voisins et d’appeler les secours, mais il était déjà trop tard lorsque l’ambulance est arrivée.
Quelques semaines auparavant, les autorités dominicaines avaient intensifié leur politique de répression contre les immigrants haïtiens sans statut légal.

Selon The Guardian, la peur s’est alors propagée parmi les communautés haïtiennes. « C’est une forme de persécution », a dénoncé Ronald Jean. « Les gens se cachent, ils ont peur de sortir, peur d’aller à l’hôpital. Ce n’était pas ma décision qu’elle accouche à la maison. On n’avait pas le choix. »
L’ONU s’est alarmée de cette politique qu’elle qualifie de dangereuse et inhumaine. Dans une déclaration récente, l’organisation a signalé que près de 900 femmes enceintes ou mères de nouveau-nés ont été expulsées en un seul mois. Plusieurs ONG dénoncent une approche « raciste et misogyne », a rapporté The Guardian.

Lorsque les services de secours sont arrivés au domicile du couple, le bébé de Lourdia Jean Pierre a été emmené à l’hôpital. Le père, qui les a accompagnés, a alors été interpellé à son tour. « Ils m’ont demandé mes papiers, et j’ai expliqué que mon permis de travail était expiré. Ils m’ont arrêté. J’étais effondré, mon enfant était tout seul. » Il n’a été remis en liberté qu’après un mouvement de protestation des habitants de la zone.

Après avoir emprunté de l’argent pour organiser les funérailles de sa femme, Ronald Jean a organisé une cérémonie discrète le jour même, craignant que la présence d’autres Haïtiens attire l’attention des autorités. « J’avais peur. Les gens disent que quand beaucoup d’Haïtiens se rassemblent, l’immigration débarque », a-t-il confié au Guardian.

La vidéo montrant le corps de Lourdia Jean Pierre allongé au sol a rapidement circulé sur les réseaux sociaux, provoquant l’indignation.

Une lettre signée par plus de 400 organisations à travers le monde a été adressée aux autorités dominicaines, dénonçant une « violation des droits humains les plus élémentaires ».
Ronald Jean, qui travaillait légalement en République dominicaine depuis 2018, avait permis à sa femme de le rejoindre en 2021, alors que la situation sécuritaire en Haïti se détériorait.

Le couple avait laissé deux enfants au pays, et un troisième est né en République dominicaine.

Le mari attribue le drame à la fois à la violence des gangs haïtiens et à la politique migratoire dominicaine. « Je respecte les lois dominicaines, mais vivre en Haïti est devenu impossible. On n’a pas le choix », dit-il.
Désormais veuf, Ronald Jean affirme vouloir rentrer en Haïti, malgré l’insécurité. « Je ne suis pas protégé ici. La vie est très dure. Je pleure, je prie. Je suis dans une situation très difficile », a-t-il lamenté à The Guardian, qui a réalisé un reportage spécial sur la mort tragique de Lourdia Jean Pierre.

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