Un document interne de l’agence Immigration and Customs Enforcement (ICE), daté du 31 octobre et consulté par The Intercept, révèle un projet visant à confier à des entreprises privées la mission de localiser des migrants en situation irrégulière — avec, à la clé, un système de bonus indexé sur les performances.
Ce Request for Information (RFI) prévoit des lots initiaux de 10 000 dossiers, pouvant atteindre jusqu’à un million de cas. Les prestataires devraient recourir à diverses méthodes : vérification de bases de données commerciales et externes, observation physique des adresses des personnes ciblées — avec obligation de fournir des photographies horodatées — et, en priorité, repérage du domicile de l’individu ou, à défaut, de son lieu de travail. Le document autorise également l’usage de technologies de surveillance « standards » et d’outils automatisés de skip-tracing exploitant les données issues des téléphones mobiles et des réseaux sociaux.
Le texte décrit un dispositif de rémunération incitative : des primes pourraient être accordées pour « la bonne identification de l’adresse du premier coup » ou la localisation de « 90 % des cibles dans un délai fixé ». Le tout serait supervisé par l’ICE, mais exécuté par des opérateurs privés.
Dans le contexte de l’administration du président Donald Trump, qui a placé la politique migratoire au cœur de son agenda sécuritaire, cette initiative vise à accroître la capacité opérationnelle de l’agence sans augmenter ses effectifs internes. Le recours à des prestataires extérieurs permettrait à l’ICE de mobiliser des ressources supplémentaires, de bénéficier de technologies de traçage plus sophistiquées et de renforcer la rapidité des opérations sur le terrain.
Mais cette stratégie suscite de vives inquiétudes. John Sandweg, ancien directeur par intérim de l’ICE, a qualifié début 2025 d’ »illégale » l’idée de déléguer à des sociétés privées la traque ou l’arrestation de migrants. Il a toutefois reconnu que l’agence avait la possibilité de « contracter des services de localisation de cibles ».
Plusieurs experts alertent sur les dérives potentielles d’un tel dispositif. Confier à des acteurs privés la recherche de migrants pourrait transformer cette mission en véritable “chasse rémunérée”, avec des risques accrus de profilage racial, d’atteintes aux libertés individuelles et d’usurpation de fonctions d’enquête.
La surveillance accrue via les réseaux sociaux, les données téléphoniques et les logiques de primes pose également question quant au respect de la vie privée et aux garanties procédurales.
Selon une analyse publiée par Snopes, bien que des rumeurs aient circulé sur l’embauche directe de chasseurs de primes par l’ICE, aucune preuve officielle ne confirme qu’un tel dispositif soit actuellement en place.
Des initiatives législatives pour encadrer la pratique
Face à ces inquiétudes, plusieurs États — notamment Washington — envisagent de légiférer pour interdire aux chasseurs de primes ou aux récupérateurs de caution d’effectuer des missions liées à l’immigration civile.
Cette proposition s’inscrit dans la continuité de la politique migratoire stricte de l’administration Trump, cherchant à renforcer le contrôle des frontières tout en évitant d’alourdir la bureaucratie fédérale.
Mais d’anciens responsables, comme John Sandweg, rappellent qu’il serait « manifestement illégal » de déléguer des arrestations massives à des prestataires privés.
Les défenseurs des droits civiques s’alarment des implications éthiques et juridiques d’un tel système. Une association de défense des migrants a dénoncé dans une lettre ouverte la transformation de « l’immigration en sport rémunéré », craignant qu’un tel mécanisme « n’encourage une logique de chasse ».
Pour ces organisations, ce projet incarne une privatisation dangereuse du contrôle migratoire, risquant d’éroder la frontière entre sécurité nationale et libertés fondamentales.
À ce jour, l’ICE n’a pas confirmé l’attribution de ces contrats. Le projet reste soumis à d’éventuels recours juridiques et à des restrictions législatives, plusieurs États réfléchissant à encadrer, voire interdire, le recours à des sociétés privées dans la traque des migrants.
S’il devait être mis en œuvre, ce dispositif marquerait une étape majeure dans la privatisation du contrôle migratoire américain, soulevant des interrogations cruciales sur la manière dont les États-Unis concilient désormais sécurité et droits fondamentaux.



