Dans un geste bipartisan rare en période de divisions politiques accentuées, le Congrès des États-Unis a franchi hier une étape décisive vers le renouvellement du programme commercial préférentiel HOPE/HELP, pilier économique pour Haïti et maillon important de la chaîne d’approvisionnement textile dans les Caraïbes. Le projet de loi a été approuvé par la commission des finances de la Chambre des représentants et doit désormais être soumis au vote plénier de la Chambre, avant son examen au Sénat, rapporte le journal dominicain DiarioLibre.
Présenté comme une mesure à la fois humanitaire et stratégique, ce renouvellement vise à prolonger un régime qui a permis, depuis près de deux décennies, aux produits textiles et vestimentaires fabriqués en Haïti d’entrer sur le marché américain en franchise de droits ou avec des tarifs préférentiels. Son expiration, intervenue le 30 septembre dernier, avait soulevé des inquiétudes majeures quant à l’avenir de dizaines de milliers d’emplois et de toute une économie régionale fragilisée.
Créé en 2006 sous le nom de HOPE (Haitian Hemispheric Opportunity through Partnership Encouragement), puis étendu et renforcé après le séisme dévastateur de 2010 sous l’acronyme HELP (Haiti Economic Lift Program), ce dispositif a été conçu comme une bouée de sauvetage économique. Il a progressivement transformé le secteur textile en principal moteur des exportations haïtiennes, représentant plus de 80% des ventes à l’étranger du pays en 2022.
« Des relations commerciales équitables et mutuellement avantageuses avec Haïti créent des emplois et de la stabilité dans un pays marqué par une longue histoire de crises humanitaires. La prospérité d’Haïti contribue à la sécurité des États-Unis », a affirmé avec conviction Jason Smith, président républicain de la commission des finances, en présentant le texte. Son analyse législative souligne que renforcer l’économie haïtienne est essentiel pour « réduire l’instabilité régionale et relever les défis migratoires ».
L’impact du programme dépasse largement les frontières haïtiennes. Il a tissé une interdépendance économique étroite avec la République dominicaine, voisine immédiate
Les importations de textiles dans le cadre de HOPE/HELP impliquent toute une logistique régionale : ports d’entrée des matières premières, transporteurs terrestres, compagnies maritimes, mais aussi usines de tissus, d’étiquettes, de fils et d’emballages, dont une partie significative est située en territoire dominicain.
Fernando Capellán, président du parc industriel frontalier Codevi (situé à Juana Méndez/Ouanaminthe, côté haïtien, et lié à Dajabón, côté dominicain), a quantifié cet effet de levier : pour trois emplois créés en Haïti, un emploi formel est généré en République dominicaine. Cette symbiose économique a permis la production, sous ce régime, de vêtements pour des géants américains comme Hanes, Calvin Klein, Gap et Victoria’s Secret.
Dans un contexte haïtien marqué par une violence gangrénaire paralysante, une crise politique profonde et un effondrement institutionnel, le secteur textile soutenu par HOPE/HELP a constitué l’un des derniers remparts contre un naufrage économique total. À son apogée en 2021, le secteur employait directement environ 60 000 Haïtiens, fournissant des revenus stables à des centaines de milliers de personnes, majoritairement des femmes.
Le programme a aussi attiré des investisseurs étrangers qui, malgré les risques, ont maintenu des unités de production, attirés par la proximité géographique avec les États-Unis et les avantages tarifaires. Sa pérennité est donc perçue comme un signal de la continuité de l’engagement américain envers Haïti, au-delà des aides d’urgence et des interventions de sécurité.
Un parcours législatif encore à finaliser
Bien que bénéficiant d’un large soutien bipartisan historique, le projet de loi n’est pas encore adopté. Il est intégré à un paquet législatif plus large portant sur le commerce, les droits des contribuables, la fraude fédérale et Medicare. Son sort reste lié aux négociations politiques sur cet ensemble.
Les observateurs notent toutefois que l’urgence économique et humanitaire en Haïti, couplée à l’intérêt stratégique américain de freiner l’instabilité dans son « arrière-cour », plaident fortement pour une adoption rapide
Le renouvellement de HOPE/HELP est bien plus qu’une simple clause commerciale. C’est un filet de sécurité socio-économique pour une nation en crise extrême, et un stabilisateur régional. Son adoption enverrait un message clair : face à l’effondrement, les États-Unis choisissent, pour l’instant, de maintenir un pont économique plutôt que de se limiter à une aide sécuritaire. L’enjeu désormais est de savoir si le Congrès, dans son ensemble, confirmera cette approche et à quel rythme, alors que chaque jour d’incertitude pèse sur la survie d’une industrie et sur la stabilité de toute une région.



