Une cour d’appel fédérale à Washington a infligé un revers majeur à la stratégie migratoire du président Trump, en maintenant le gel d’une politique qui visait à étendre les expulsions « expéditives » bien au-delà de la frontière sud pour viser des migrants arrêtés n’importe où aux États-Unis.
Samedi 22 novembre, une formation de trois juges de la Cour d’appel du district de Columbia a rejeté, par deux voix contre une, la demande de l’administration qui souhaitait suspendre une décision rendue le 29 août par la juge fédérale Jia Cobb. Celle-ci avait estimé que la nouvelle politique violait les garanties constitutionnelles en matière de procédure équitable (due process) pour les personnes susceptibles d’être appréhendées loin de la frontière.
Ce que l’administration Trump voulait changer
Depuis la fin des années 1990, la procédure dite d' »expulsion accélérée » (expedited removal) permet au Department of Homeland Security (DHS) de renvoyer rapidement des migrants interceptés à proximité immédiate de la frontière, sans audience complète devant un juge de l’immigration. Jusqu’ici, ce mécanisme était essentiellement limité aux personnes arrêtées peu après leur entrée sur le territoire et dans une zone frontalière définie.
En janvier 2025, la Maison-Blanche a décidé de généraliser cette procédure : toute personne sans statut régulier, arrêtée n’importe où aux États-Unis et incapable de prouver au moins deux ans de présence continue dans le pays, pouvait être renvoyée selon cette voie ultra-rapide. La mesure reprenait presque à l’identique un dispositif déjà mis en place par Donald Trump en 2019, puis abrogé par l’administration Biden.
Des organisations de défense des droits des migrants, dont le groupe Make the Road New York, ont attaqué ce nouveau texte devant la justice fédérale, dénonçant une politique qui « transforme tout le territoire en zone d’expulsion expéditive » et expose des personnes installées de longue date aux mêmes procédures sommaires que les migrants interpellés à la frontière.
La juge Cobb tire le signal d’alarme
Dans son ordonnance du 29 août, la juge Jia Cobb, magistrate du tribunal fédéral de Washington, a donné raison aux plaignants. Elle a interdit au DHS d’appliquer l’extension de la procédure, estimant que les mécanismes mis en place par l’administration ne protégeaient pas suffisamment les droits fondamentaux de ces migrants, notamment le droit de contester leur expulsion et de faire valoir d’éventuelles demandes de protection.
Selon la juge, le système conçu par le gouvernement créait un risque élevé d’erreur : des personnes vivant légalement aux États-Unis, ou pouvant prétendre à l’asile, pouvaient être renvoyées sans réelle possibilité de présenter leurs arguments ni d’accéder à un avocat. Elle a donc ordonné au DHS de revenir, au moins temporairement, aux limites antérieures de l’expedited removal.
L’administration Trump a immédiatement saisi la cour d’appel pour tenter d’obtenir la suspension de cette décision le temps de l’examen du dossier sur le fond.
La cour d’appel confirme le blocage
Samedi, deux juges nommées par des présidents démocrates, Patricia Millett et J. Michelle Childs, ont refusé de faire droit à la demande de la Maison-Blanche. Dans leur opinion, elles écrivent que le gouvernement n’a pas démontré qu’il avait « mis en place des systèmes et procédures à même de garantir le respect effectif des droits au due process protégés par le Cinquième Amendement ». Elles soulignent l’existence de « risques sérieux d’expulsions sommaires erronées » si l’extension entrait en vigueur sur l’ensemble du territoire américain.
Concrètement, la décision signifie que le gel de la politique reste en place : les migrants arrêtés loin de la frontière ne peuvent pas être placés dans cette voie rapide uniquement sur la base d’une présomption de présence de moins de deux ans, tant que la cour n’a pas tranché l’appel sur le fond, prévu le 9 décembre.
Les juges d’appel ont toutefois assoupli marginalement l’ordonnance de première instance : elles ont suspendu la partie qui imposait des modifications immédiates aux procédures d’évaluation de la « crainte crédible » de persécution ou de torture, estimant que ce volet relevait d’un autre cadre juridique.
La juge Neomi Rao, nommée par Donald Trump, a voté contre la majorité. Dans une opinion dissidente, elle qualifie la décision de la juge Cobb « d’ingérence judiciaire inadmissible » dans les prérogatives de l’exécutif en matière d’immigration.
Enjeu politique et humain pour la politique migratoire de Trump
Pour la Maison-Blanche, l’extension de l’expedited removal constitue l’un des outils phares du durcissement de la politique migratoire : elle permettrait de renvoyer plus rapidement et à moindre coût les personnes en situation irrégulière, sans encombrer davantage des tribunaux déjà surchargés. Des responsables du DHS défendent régulièrement cette approche comme un moyen de « restaurer la crédibilité » du système migratoire.
Mais pour les organisations de défense des migrants, la décision de la cour d’appel confirme que l’administration est allée trop loin. Les plaignants saluent une victoire « cruciale pour l’État de droit », rappelant qu’un mécanisme pensé à l’origine pour les interpellations frontalières ne peut être étendu à l’ensemble du pays sans garde-fous solides. Dans des déclarations publiques antérieures, des avocats de groupes comme l’American Immigration Council et l’ACLU avaient déjà dénoncé une politique qui « permet des expulsions massives sans audience, sans avocat et sans véritable contrôle judiciaire ».
Au-delà du débat juridique, les enjeux sont très concrets pour les communautés migrantes, notamment latino-américaines, caribéennes et africaines. Des personnes installées depuis plusieurs années mais incapables de documenter rapidement leur présence continue — faute de contrats de travail formels, de bail à leur nom ou de compte bancaire — risqueraient d’être renvoyées en quelques jours. Pour de nombreux défenseurs des droits humains, la décision de la cour d’appel offre un répit à ces populations vulnérables.
Prochaine étape : une bataille de fond devant les juges
L’administration Trump n’a pas immédiatement réagi à la décision de la cour d’appel de Washington. Selon Reuters, le dossier doit être plaidé sur le fond le 9 décembre, date à laquelle les juges décideront si l’extension des expulsions expéditives est compatible ou non avec la Constitution et les lois fédérales sur l’immigration.
Quoi qu’il arrive, cette affaire s’inscrit dans une série de bras de fer judiciaires autour de la politique migratoire du président Trump, depuis les restrictions à l’asile jusqu’à l’utilisation de pouvoirs d’exception pour accélérer les renvois. À chaque fois, les tribunaux rappellent que, même en matière d’immigration, le pouvoir exécutif doit respecter les garanties fondamentales inscrites dans la Constitution américaine.
Article rédigé à partir de dépêches de Reuters, de la couverture de Newsmax et des documents judiciaires de la Cour d’appel du district de Columbia et du tribunal fédéral de Washington, D.C.



