Immigration et séparation des pouvoirs : la Cour suprême face au dilemme des injonctions judiciaires

Emmanuel Paul
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Emmanuel Paul est un journaliste chevronné et un conteur accompli, animé par un engagement profond envers la vérité, la communauté et l’impact social. Il est le...

Le dossier de la citoyenneté à la naissance était indirectement en jeu ce jeudi devant la Cour suprême des États-Unis. Dès la première semaine de son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump avait tenté de mettre fin à la citoyenneté automatique pour les enfants nés sur le sol américain de parents en situation irrégulière — un droit pourtant garanti par le 14e amendement de la Constitution.

La séance de ce jeudi ne portait pas directement sur cette tentative de remettre en cause le droit du sol, mais sur les nombreuses décisions de tribunaux fédéraux ayant bloqué, à l’échelle nationale, son décret présidentiel en la matière.

La volonté d’écarter un droit constitutionnel fondamental est déjà en soi préoccupante. Mais pour plusieurs observateurs, le véritable enjeu réside ailleurs : l’administration Trump, par l’intermédiaire de son solliciteur général, a demandé à la Cour suprême de limiter le pouvoir des juges fédéraux de première instance à émettre des injonctions à portée nationale.

Si les juges de la plus haute juridiction du pays décidaient en faveur de cette requête, l’administration pourrait ignorer toute décision judiciaire défavorable sans même avoir besoin de faire appel. En d’autres termes, ces décisions seraient privées d’effet sur le gouvernement fédéral.

Cet argument a été âprement débattu lors de l’audience du 14 mai. Plusieurs juges — tant progressistes que conservateurs — ont exprimé leur malaise. D’un côté, ils s’inquiètent d’une éventuelle dérive autoritaire de l’exécutif. De l’autre, ils s’interrogent sur la légitimité pour un juge d’un simple district judiciaire de bloquer, à lui seul, une politique fédérale sur l’ensemble du territoire.

L’administration Trump n’est d’ailleurs pas la première à critiquer les injonctions universelles. George W. Bush, Barack Obama et Joe Biden s’en sont également plaints, jugeant que ces mesures judiciaires sont parfois appliquées de façon excessive.

Dans les faits, ces injonctions sont perçues par les gouvernements comme un moyen de paralyser leur capacité à mettre en œuvre leur programme. Durant ses deux mandats, Barack Obama a vu plusieurs de ses initiatives en matière d’immigration bloquées par de telles injonctions. Joe Biden en a également été victime, notamment dans sa tentative d’effacer une partie de la dette étudiante.

Nombre d’experts juridiques reconnaissent qu’il est nécessaire de mieux encadrer l’usage de ces injonctions à portée nationale. Mais la question reste complexe : comment limiter ce pouvoir judiciaire sans accorder à l’exécutif une liberté d’action démesurée et potentiellement dangereuse pour l’équilibre des institutions ?

Dans le cas précis de la citoyenneté à la naissance, une décision favorable à l’administration Trump pourrait créer une situation critique : des millions d’enfants nés de parents sans papiers risqueraient de se retrouver apatrides pendant plusieurs années, le temps qu’un jugement final soit rendu sur la légalité du décret présidentiel.

Dans les jours à venir, la Cour suprême — où les juges conservateurs disposent d’une majorité solide — devra trancher. La décision aura des conséquences majeures : renforcera-t-elle le pouvoir de l’exécutif au détriment du contrôle judiciaire, ou préservera-t-elle l’équilibre fragile entre les institutions ?

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