Depuis le 7 avril 2025, un protocole d’accord entre le Service fédéral des impôts (IRS) et l’Agence fédérale de l’immigration et des douanes (ICE) permet, dans certaines conditions, la transmission de données d’identification de contribuables à des fins d’enquêtes pénales liées au droit des étrangers, sans nécessiter d’ordonnance judiciaire préalable.
Cet accord, désormais contesté devant les tribunaux, redéfinit la frontière entre le secret fiscal et l’application des lois migratoires, tout en créant de nouveaux risques pour les employeurs en matière d’audits, de visites sur site et de demandes administratives.
Selon l’analyse publiée par le cabinet Foley & Lardner LLP dans The National Law Review LE 20 octobre 2025 dernier, le protocole définit les modalités selon lesquelles l’immigration peut obtenir l’adresse postale la plus récente d’une personne ciblée pour des infractions pénales spécifiques.
Les experts soulignent notamment les dossiers fondés sur le titre 8, section 1253(a)(1) du code des États-Unis, qui concerne le séjour volontaire de plus de 90 jours après une décision d’éloignement devenue définitive. Les juristes y voient une rupture avec les pratiques fiscales antérieures, traditionnellement protectrices des informations déclaratives.
Le secret fiscal, garanti par la section 6103 du code fiscal fédéral, interdit en principe toute divulgation des informations relatives aux contribuables. Le protocole s’appuie toutefois sur l’exception pénale qui autorise la communication à une autorité préparant une procédure ou menant une enquête susceptible de déboucher sur des poursuites.
Dans la pratique, l’immigration doit adresser au fisc une demande écrite contenant plusieurs éléments obligatoires : l’identité de la personne visée, les périodes d’imposition concernées, le fondement pénal de l’enquête (par exemple, titre 8, section 1253(a)(1)), la date de la décision d’éloignement définitive avec le numéro de dossier, une justification expliquant la pertinence de l’identification et de l’adresse pour l’enquête pénale, ainsi qu’une attestation limitant l’usage de l’adresse aux seuls objectifs autorisés par la section 6103(i)(2)(A) en lien avec l’infraction visée.
Le fisc vérifie ensuite la « complétude et validité » de la demande avant de procéder à la transmission, si l’information peut être identifiée. L’immigration doit également respecter les normes de sécurité applicables aux données fiscales sensibles.
Des limites qui restent à tester dans la pratique
Un élément important pour les entreprises : la portée de la transmission se limite à l’identité, notamment l’adresse. Le protocole n’autorise pas l’accès aux déclarations fiscales complètes, aux informations financières ou aux données des employeurs. L’utilisation est, de plus, restreinte à la préparation de procédures judiciaires ou administratives, aux investigations susceptibles d’y conduire, et aux poursuites pénales ultérieures.
Selon l’analyse de Foley & Lardner LLP, ce nouveau canal pourrait permettre un ciblage domiciliaire plus précis, l’agence pouvant localiser rapidement une personne sous le coup d’une décision d’éloignement, ce qui réduirait théoriquement le besoin de raids massifs en milieu de travail. Les auteurs nuancent toutefois : en pratique, les opérations d’envergure restent efficaces du point de vue des ressources administratives, et rien n’indique qu’elles seront abandonnées.
Le contexte budgétaire plaide pour un renforcement des capacités d’exécution : la récente loi budgétaire alloue 170 milliards de dollars à la politique d’application des lois migratoires, dont plus de 75 milliards pour l’Agence de l’immigration et des douanes, signalant une intensification des audits, visites et contrôles documentaires, selon The National Law Review (20 octobre 2025).
L’accord a déclenché plusieurs recours devant les tribunaux fédéraux. Dans l’affaire Centro de Trabajadores Unidos c. Bessent (tribunal de district de Columbia, n° 1:25-cv-00677), des organisations ont demandé une injonction préliminaire pour bloquer l’application du protocole, craignant un détournement à des fins d’éloignement civil. Le tribunal a rejeté cette demande, estimant que la formulation du protocole limite la divulgation aux affaires pénales et qu’elle respecte le texte de la section 6103(i)(2).
En appel devant la cour du district de Columbia (n° 25-5181), 93 membres du Congrès ont déposé un mémoire d’ami de la cour, alertant sur les risques d’érosion de la confiance dans le système fiscal, de dissuasion de la conformité volontaire et de confusion entre l’administration de l’impôt et le contrôle migratoire. Le mémoire souligne que la section 6103 a été conçue pour protéger l’information fiscale de tout usage politique ou étranger à la mission fiscale, précisément le type de coordination interagences que formalise désormais le protocole. L’audience s’est tenue le 3 octobre 2025 ; la décision est en délibéré.
Implications pour les employeurs
Bien que le protocole vise en priorité les enquêtes pénales, son interprétation par l’immigration et les pratiques qui en découleront restent à observer. Dans l’immédiat, les entreprises évoluent dans un environnement où l’exécutif déclare vouloir utiliser « tous les outils disponibles » pour intensifier l’application des lois, ce qui se traduira par davantage de sollicitations administratives, d’audits, d’avis d’inspection et, possiblement, de poursuites pénales visant les employeurs en cas d’infractions avérées.
Les praticiens du droit recommandent, à titre préventif, plusieurs mesures : réexaminer les procédures de recrutement et de paie ainsi que la conservation des pièces justificatives ; mettre à jour les protocoles internes de réponse (personnes référentes, chaîne décisionnelle, avocats mandatés, registres de contrôle) ; former les équipes des ressources humaines et de la conformité à la réception et au traçage des demandes officielles ; surveiller l’issue des recours pendants sur la validité et le périmètre du protocole.
À court terme, la combinaison d’un nouveau canal fiscal permettant de localiser des personnes visées par une infraction pénale et d’une capacité opérationnelle renforcée laisse présager une diversification des tactiques : contrôles au domicile, audits documentaires accélérés, mais aussi maintien d’opérations groupées lorsqu’elles sont jugées plus efficaces. Pour les employeurs, l’enjeu consiste à réduire le risque de perturbations — arrêt d’activité, pertes de main-d’œuvre, exposition médiatique — en renforçant la conformité avant toute intervention.