Des sénateurs américains dénoncent une grave incohérence dans la politique des États-Unis en Haïti et pressent Rubio et Noem de s’expliquer

Emmanuel Paul
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Credit: Odelyn Joseph, Associated Press

Des sénateurs pressent Rubio et Noem de s’expliquer sur la politique américaine en Haïti

Une dizaine de sénateurs démocrates demandent des explications au secrétaire d’État américain Marco Rubio et au Département de la Sécurité intérieure concernant la politique des États-Unis à l’égard d’Haïti. Ils dénoncent une grave incohérence ainsi qu’un double discours de l’administration Trump, qui cherche à mettre fin au TPS pour Haïti alors même que la situation continue de se détériorer sur le terrain.

Dans une correspondance envoyée ce mercredi aux secrétaires Marco Rubio (Département d’État) et Kristi Noem (Sécurité intérieure), les sénateurs Edward J. Markey (Démocrate – Massachusetts) et Raphael Warnock (Démocrate – Géorgie) sollicitent des explications sur ce qu’ils qualifient de « contradictions fondamentales » dans la politique étrangère et migratoire des États-Unis envers Haïti. La lettre soulève des questions concernant un accord officiel entre le gouvernement transitoire haïtien et une société militaire privée américaine sous la direction d’Erik Prince, le fondateur de Blackwater Worldwide.

Dans cette communication, ils réclament des clarifications sur ce qu’ils désignent comme des « contradictions fondamentales » entre la politique étrangère et la politique migratoire américaine concernant Haïti.

Ils manifestent aussi leur préoccupation concernant la présence d’une société militaire privée américaine — dirigée par Erik Prince, fondateur de Blackwater Worldwide — impliquée dans des opérations armées en territoire haïtien. Une réponse est attendue avant le 15 août 2025.

Dans leur missive, publiée par leur service de presse ce 24 juillet, les sénateurs soulignent que « selon des informations récentes, une société militaire privée américaine (PMC) mène des opérations armées en Haïti dans le cadre d’un contrat formel passé avec le gouvernement de transition du pays ». Ils concluent que « ces informations soulèvent des questions urgentes concernant la conformité avec les lois américaines sur l’exportation d’armes, le risque de complicité des États-Unis dans de graves violations des droits humains, et les contradictions fondamentales dans la politique étrangère et migratoire actuelle envers Haïti ».

Ces déclarations soulignent les incertitudes concernant l’utilisation potentielle, par une entreprise privée américaine, de drones armés, d’équipements militaires et de mercenaires dans un pays paralysé par la violence et l’instabilité. Les sénateurs soulignent que « les opérations de drones armés, les expéditions d’armes et les déploiements de mercenaires américains constituent sans aucun doute des activités nécessitant des licences d’exportation ».

Les sénateurs Markey et Warnock formulent une première série d’interrogations centrées sur la transparence et la conformité légale :

  1. « Une quelconque société militaire privée américaine a‑t‑elle demandé ou reçu des licences d’exportation pour fournir des équipements de défense ou des services militaires en Haïti ? Si oui, merci de les identifier et de fournir des copies des licences. »
  2. « Les licences obtenues ont‑elles été examinées dans le cadre de la NSPM‑10, section 3(d), en vue d’analyser les risques pour la paix internationale et les droits humains ? Si oui, fournir les résultats. Si non, pourquoi pas ? »

La NSPM‑10 (National Security Presidential Memorandum 10) exige effectivement une évaluation rigoureuse de toute exportation militaire, pour s’assurer qu’elle ne contribue pas à des violations des droits humains. Les sénateurs considèrent que l’absence d’un tel examen pourrait constituer une « violation du droit américain » ou révéler une ambiguïté juridique préoccupante.

Le dernier volet de la correspondance aborde la mission de soutien à la sécurité multinationale (MSS), supervisée par les Nations unies en Haïti.

Les sénateurs s’enquièrent si « une analyse interagences a‑t‑elle été menée pour déterminer si les activités de cette PMC pourraient compromettre la mission MSS ? ». Ils poursuivent en questionnant le Département d’État : « A‑t‑il évalué si ces activités sont cohérentes avec, redondantes ou en contradiction avec la mission MSS de l’ONU ? Si oui, merci d’en communiquer les résultats. Si non, pourquoi pas ? »

Cette interrogation met en lumière un possible défaut de coordination entre la diplomatie américaine et une mission internationale qui, selon les signataires, risquerait d’être fragilisée par des initiatives non concertées.

Les sénateurs portent ensuite leur attention sur la police nationale haïtienne (PNH). Ils s’interrogent sur la conformité des unités bénéficiant d’une aide américaine avec la loi Leahy, qui proscrit le financement des forces étrangères impliquées dans des violations graves des droits humains. Ils demandent explicitement : « Ces unités ont-elles été vérifiées selon les critères de la loi Leahy ? Si oui, merci de fournir les résultats. Si non, pourquoi pas ? »

Les élus démocrates mettent également en lumière des contradictions majeures dans l’approche américaine envers Haïti. Ils critiquent une « politique étrangère de plus en plus incohérente » concernant ce pays.

Ils pointent particulièrement la tentative du Département de la Sécurité intérieure (DHS) de supprimer le Statut de protection temporaire (TPS) accordé aux Haïtiens, alors même que le département d’État conseille aux citoyens américains de quitter Haïti au plus vite en raison des conditions sécuritaires préoccupantes. « Comment justifiez-vous cette contradiction entre le soutien du Département d’État à des opérations de stabilisation armée en Haïti et la décision du DHS de mettre fin aux protections TPS ? », interrogent-ils.

Dans un sixième point, ils questionnent directement la logique d’inclure Haïti dans la politique de restrictions de voyage (travel ban), tout en considérant le pays suffisamment sûr pour y renvoyer les bénéficiaires du TPS : « Comment l’administration peut-elle concilier l’inclusion d’Haïti dans la liste des pays soumis à des restrictions de voyage pour des raisons de sécurité avec l’idée que ce même pays est désormais suffisamment sûr pour que les Haïtiens y soient renvoyés ? »

Cette missive porte la signature d’un groupe significatif de sénateurs démocrates et d’un sénateur indépendant.

Parmi les signataires aux côtés de Markey et Warnock figurent : Chris Van Hollen (Maryland), Elizabeth Warren (Massachusetts), Bernie Sanders (Vermont), Alex Padilla (Californie), Adam Schiff (Californie), Peter Welch (Vermont) et Cory Booker (New Jersey).

Les sénateurs établissent une échéance précise : le 15 août 2025. Ils soulignent qu’après cette date, ils attendent des deux secrétaires concernés un « compte‑rendu complet des décisions, analyses et justifications » relatives à ces différentes problématiques.

Cette initiative s’inscrit dans un contexte où persistent des tensions entre les priorités internationales et nationales de l’administration Trump. Certains analystes critiquent une tendance croissante à utiliser l’appareil militaire pour des questions intérieures, particulièrement dans le domaine de l’immigration. D’autres soulignent l’importance des contradictions entre le soutien sécuritaire à l’étranger et la politique restrictive appliquée aux citoyens haïtiens sur le territoire américain.

La correspondance des sénateurs Markey et Warnock, caractérisée par son contenu substantiel et son ton résolu, traduit une ambition claire : obtenir de l’administration des réponses détaillées et étayées, basées sur des faits tangibles et respectant les engagements légaux des États‑Unis.

En réclamant des précisions sur les autorisations d’exportation, les évaluations humanitaires, la conformité avec la mission MSS, les contrôles selon la loi Leahy, ainsi que la justification politique de la fin du TPS et l’inclusion dans le travel ban, ils initient un processus officiel de responsabilisation.

Dans les trois semaines à venir, les décisions et les explications du Département d’État et du DHS seront minutieusement examinées. Au-delà d’une simple controverse, cette démarche questionne la cohérence globale de la politique américaine — dans sa capacité à soutenir une intervention sécuritaire à l’étranger tout en garantissant les droits des personnes concernées sur son territoire.

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https://www.markey.senate.gov/news/press-releases

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