Des agents de l’ICE sollicitent auprès des propriétaires des informations confidentielles sur leurs locataires

Emmanuel Paul
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Une nouvelle approche adoptée par les agents de l’ICE  pour collecter des renseignements sur les immigrants sans-papiers, particulièrement ceux ayant des antécédents judiciaires.

Selon l’Associated Press, les services d’immigration (ICE) ont initié une pratique consistant à envoyer des requêtes administratives aux propriétaires immobiliers, exigeant des informations personnelles sur leurs locataires.

Les documents sollicités comprennent les contrats de location, les dossiers de candidature, les pièces d’identité, les adresses de correspondance, ainsi que l’identité des occupants du logement.

Ces actions ont été attestées par plusieurs avocats spécialisés en droit immobilier, dont Me Eric Teusink, exerçant dans la région d’Atlanta, qui confirme que plusieurs de ses clients ont reçu des documents de la part d’agents fédéraux. « Ils demandent l’intégralité des dossiers des locataires, parfois avec des détails très personnels comme la situation familiale ou l’historique d’emploi », a-t-il déclaré à l’agence Associated Press.

Selon The Independent, les assignations examinées par l’AP ne portent pas la signature d’un juge, mais celle d’agents de l’unité antifraude de l’USCIS, l’organisme chargé de la citoyenneté et de l’immigration. Cette démarche pourrait représenter une nouvelle phase dans la politique de l’administration Trump visant à identifier et expulser les personnes en situation irrégulière.

L’absence de validation judiciaire de ces assignations soulève des interrogations majeures. De nombreux juristes considèrent que les propriétaires n’ont aucune obligation légale d’y répondre. Selon la professeure Stacy Seicshnaydre, spécialiste en droit du logement à l’université Tulane, « ces assignations, si elles ne sont pas validées par un juge, peuvent mettre les propriétaires en porte-à-faux avec la loi fédérale sur le logement équitable (Fair Housing Act) ». Cette législation proscrit toute discrimination basée notamment sur l’origine nationale.

Elle met également en garde contre un phénomène inquiétant : la « surconformité ». « Beaucoup de propriétaires vont céder à la pression, pensant qu’ils doivent obéir, même quand la demande n’a pas de valeur légale réelle », a rapporté The Independent.

L’incertitude juridique suscite l’inquiétude chez les propriétaires, particulièrement ceux qui administrent des complexes résidentiels. « Nous avons l’habitude de recevoir des requêtes judiciaires liées à des enquêtes criminelles, mais celles-ci sont toujours validées par un juge. Là, ce n’est pas le cas », a expliqué Eric Teusink à AP.

À Boston, l’avocate Jordana Roubicek Greenman a indiqué qu’un de ses clients avait été sollicité par ICE via un message vocal demandant des renseignements sur un locataire. Elle lui a recommandé de s’abstenir de répondre.

Dans le secteur de Los Angeles, Anthony Luna, gestionnaire immobilier, observe une anxiété grandissante. Dirigeant une société qui supervise environ 1 000 logements, il rapporte que ses équipes sont confrontées à des locataires préoccupés par les rumeurs d’assignations. « Si ces agents cherchent des criminels, pourquoi ne passent-ils pas par la justice ? Pourquoi aller fouiller les dossiers des bailleurs ? », s’interroge-t-il.

Contactée par The Associated Press, Tricia McLaughlin, porte-parole du département de la Sécurité intérieure, a soutenu les méthodes de son agence sans pour autant préciser l’étendue des sollicitations adressées aux propriétaires. Elle a souligné que les injonctions administratives émises par ICE ne peuvent être négligées sans répercussions.

« Il est erroné de suggérer que ces assignations peuvent être simplement ignorées », a-t-elle déclaré. « L’ICE a toute autorité pour obtenir des dossiers ou des témoignages à travers des assignations administratives. Le non-respect de ces documents peut entraîner des sanctions juridiques sérieuses. »

L’utilisation d’assignations non judiciaires par les services d’immigration n’est pas nouvelle. Cependant, selon la professeure Lindsay Nash de la faculté de droit Cardozo à New York, leur fréquence s’est considérablement accrue depuis le premier mandat de Donald Trump. La différence réside dans la cible : les autorités visent maintenant les propriétaires, alors qu’auparavant ces assignations concernaient principalement les forces de l’ordre locales.

Selon Nash, ICE dispose de l’autorité légale pour faire exécuter ces assignations devant une cour fédérale. Toutefois, cette démarche nécessite l’intervention d’un juge, offrant ainsi au propriétaire la possibilité de présenter sa défense. En pratique, nombreux sont ceux qui obtempèrent sans même en informer les locataires concernés, craignant d’éventuelles poursuites.

« Ces documents ont l’air officiels, utilisent un langage juridique menaçant, et beaucoup s’y plient sans comprendre qu’ils pourraient être contestés », a-t-elle expliqué à AP. « Plusieurs sont bien trop larges dans leurs demandes, parfois abusifs. »

Cette stratégie de pression sur les propriétaires pour obtenir des informations personnelles des locataires pourrait représenter un nouveau dispositif de l’administration Trump dans sa politique anti-immigration. Elle soulève néanmoins des questions fondamentales d’ordre constitutionnel, légal et éthique — tant pour les bailleurs que pour les familles visées, souvent démunies et mal informées.

Sources : The Associated Press, via The Independent

Rédaction : Emmanuel Paul – Caribbean Television Network.

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