À l’issue d’un conclave marqué par un nombre important de nouveaux membres et une diversité linguistique et culturelle inédite, l’Église catholique s’est ralliée, dans un élan aussi rapide qu’inattendu, autour d’un cardinal peu connu du grand public : Robert Francis Prevost. Son élection, le jeudi 1er mai, a été accueillie par une ovation dans la chapelle Sixtine. Désormais pape Léon XIV, il a émergé comme le seul choix possible d’un collège cardinalice pourtant fragmenté. Le New York Times, à travers une série d’entretiens avec plus d’une douzaine de cardinaux, a reconstitué le cheminement de cette élection.
Les 133 cardinaux électeurs sont entrés en conclave le mercredi soir, précédés d’une longue procession solennelle. La méditation d’ouverture, qui a duré près d’une heure, a donné le ton de la gravité du moment. Elle fut si longue que le cardinal Parolin, qui dirigeait la séance, a proposé de reporter le vote au lendemain. Mais les cardinaux ont insisté pour voter immédiatement, malgré la fatigue. « Nous n’avions pas dîné, et il n’y avait pas non plus de pauses — même pas pour aller aux toilettes », a rapporté le cardinal Pablo Virgilio Siongco David, des Philippines, au New York Times.
Le premier vote, vers 19 h 30, n’a permis de dégager aucun favori clair. Le cardinal Omella (Espagne) l’a qualifié de « sorte de sondage préliminaire ». Le cardinal Lazarus You Heung-sik (Corée du Sud) a confirmé que « plusieurs candidats ont obtenu un nombre significatif de voix ». Les noms qui sont ressortis à ce stade : Pietro Parolin (Italie), Peter Erdo (Hongrie) et Robert Prevost (États-Unis), selon le New York Times.
De retour à la maison Santa Marta, les conversations se sont intensifiées, a fait savoir le cardinal Vincent Nichols d’Angleterre. « Une fois à Santa Marta, on parlait des candidats un par un. » Ce fut un moment clé pour la montée de Prevost, que beaucoup avaient jusque-là négligé, a rappelé le cardinal anglais.
À partir de ce moment, plusieurs autres cardinaux ont commencé à s’enquérir du cardinal junior Robert Francis Prevost, créé cardinal par le pape François seulement en 2023.
Le cardinal Gerhard Ludwig Müller (Allemagne), connu pour ses critiques conservatrices envers le pape François, a questionné les Latino-Américains sur Prevost. On l’a rassuré que ce dernier « n’était pas clivant ».
Originaire de Chicago, formé à Villanova, missionnaire au Pérou, ex-prieur de l’ordre de Saint-Augustin, puis préfet du dicastère des évêques, Robert Prevost est apparu comme un homme de synthèse. Cardinal depuis moins de deux ans, il a tout de même joué un rôle dans la préparation des réunions quotidiennes précédant l’enfermement du conclave, après avoir été tiré au sort pour y assister.
Le cardinal Tagle (Philippines), qui était lui-même considéré comme un papabile, a raconté que Prevost lui avait demandé : « Comment cela fonctionne ? »
« J’ai de l’expérience dans un conclave, lui non », a déclaré le cardinal Tagle au New York Times.
« Je ne connaissais même pas son nom », a ajouté le cardinal David.
Si l’ancien cardinal américain n’était pas très connu du milieu ecclésiastique du Vatican, il était pourtant très populaire parmi les cardinaux venus du continent américain. Comme lui, beaucoup d’entre eux ont été créés cardinaux par le pape François. « Nous le connaissons presque tous. C’est l’un des nôtres », a déclaré le cardinal Porras (Venezuela).
Le cardinal Vesco (France), qui ne se souvenait pas non plus de ce que Prevost avait dit lors des réunions pré-conclave, a néanmoins vérifié sa réputation. « J’ai fait mon travail. Je dois voter. Je dois connaître la personne », a-t-il justifié. On lui a parlé d’un homme qui écoute, travaille en équipe et parle couramment l’italien, ce qui a grandement joué dans l’élection du pape, dont l’arbre généalogique s’étend jusqu’à Haïti.
Le cardinal Wilton Gregory (États-Unis) l’a trouvé « très efficace » dans les groupes de discussion. Le cardinal Cupich (Chicago) l’a décrit comme quelqu’un de méticuleux et compétent : « J’admire la façon dont il dirige une réunion… ce n’est pas facile quand on doit conseiller un pape sur la nomination d’un évêque dans une salle multilingue. »
Le cardinal Müller a résumé ce que beaucoup pensaient : la base électorale de Prevost se consolidait en Amérique du Nord et du Sud.
Le cardinal Dolan (New York) a fait sa connaissance autour d’un petit-déjeuner. Le cardinal Porras a souligné l’importance du lien personnel : « Quand on est d’abord amis, tout est plus simple ».
À la veille du conclave, il était déjà clair que le natif de Chicago était un grand favori au trône papal, a fait savoir le cardinal Tobin des États-Unis, qui rappelle avoir lancé à Prevost : « Bob, cela pourrait t’être proposé ».
Un basculement rapide
Le lendemain, le second et le troisième vote ont confirmé une tendance lourde. « Lors du quatrième vote, les bulletins se sont massivement reportés sur Prevost », a affirmé le cardinal You (Corée du Sud). Le cardinal Müller, assis juste derrière lui, l’a trouvé serein. À sa droite, le cardinal Tagle l’a vu respirer profondément.
Dans un moment de tension douce, Tagle lui a proposé une friandise : « Je lui ai demandé : “Tu veux un bonbon ?”, et il m’a répondu : “Oui” ».
Le cardinal Tobin, en déposant son bulletin, a regardé Prevost : « Il avait la tête dans les mains ».
L’après-midi, lors d’un nouveau scrutin, le chiffre fatidique est tombé. Prevost avait déjà collecté 89 voix, soit la majorité qualifiée des deux tiers, alors que le vote n’était même pas encore terminé.
« Et il est resté assis ! », a raconté le cardinal David. « Quelqu’un a dû le relever. Nous étions tous en larmes », a révélé le cardinal David.
Alors que le décompte se poursuivait et que le nombre de voix dépassait les 90, le cardinal Parolin a dû appeler au calme pour finir le vote.
Le tempérament conciliant de l’ancien cardinal lui a valu « une très large majorité », selon le cardinal Tsarahazana de Madagascar.
Une élection limpide
Une fois élu, Prevost — désormais Léon XIV — a été chaleureusement félicité. Le conclave, court et apaisé, s’est terminé dans la joie, ce qui est plutôt rare au Vatican où règne généralement une ambiance divisive lors des élections papales.
Le nouveau pape est ensuite apparu au balcon de la basilique Saint-Pierre, sous les applaudissements.
Le cardinal Tagle, le mentor improvisé de Prevost quelques jours plus tôt, lui a lancé dans un sourire : « Si tu veux changer les règles du conclave, tout est entre tes mains maintenant ».
En très peu de temps, Robert Francis Prevost s’est forgé une excellente réputation au Vatican comme dans les autres lieux où il a servi.
De Chicago au Pérou, où le nouveau pape avait travaillé pendant de nombreuses années, le choix de l’ancien cardinal a été accueilli avec joie. Tout le monde le présente comme un homme de bon cœur, ayant une grande capacité à rassembler les gens et à travailler même avec ceux qui ont des idées les plus hostiles.
La victoire de Robert Francis Prevost est revendiquée un peu partout à travers le monde : aux États-Unis, où il est né ; au Pérou, où il détient la citoyenneté ; en Haïti, d’où ses grands-parents sont originaires ; et même en République dominicaine, où il aurait également des liens ancestraux.
Source : Tous les témoignages cités proviennent de l’article “How Cardinal Prevost Became Pope Leo XIV” par Jason Horowitz, The New York Times, 13 mai 2025.