Augmentation considérable des transferts de la diaspora haïtienne aux Etats-Unis vers Haïti en dépit du durcissement migratoire

Emmanuel Paul
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Emmanuel Paul
Journalist/ Storyteller
Emmanuel Paul est un journaliste chevronné et un conteur accompli, animé par un engagement profond envers la vérité, la communauté et l’impact social. Il est le...

La politique de déportation massive de l’administration Trump et les nombreuses mesures restrictives sur les transferts d’argent n’ont pas produit les effets escomptés sur les Haïtiens vivant aux États-Unis.

Alors que Washington durcit sa politique migratoire, les envois d’argent des Haïtiens établis à l’étranger jouent un rôle d’amortisseur essentiel pour les familles et, au-delà, pour une économie plongée dans une crise durable.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), Haïti traverse sa septième année consécutive de récession, avec une inflation qui frôle les 32 %. Pourtant, dans ce contexte dégradé, la diaspora maintient un filet de sécurité dont les effets se répercutent jusque dans les comptes extérieurs : le FMI note que « ces flux ont renforcé la balance des transactions courantes, qui devrait enregistrer un excédent modéré » pour l’exercice en cours, tout en soulignant la stabilité du taux de change nominal et des réserves dépassant 3,1 milliards de dollars, a rapporté la journaliste Jacqueline Charles du Miami Herald, rappelant que ce rôle de stabilisateur macroéconomique intervient dans un climat politique et sécuritaire qui se dégrade.

La diminution de l’aide internationale, l’effondrement de certaines filières d’exportation et le contrôle exercé par des groupes armés sur des axes routiers stratégiques paralysent l’activité économique. Dans ce tableau sombre, la solidarité familiale internationale compense partiellement les déficits : l’année dernière, selon la Banque de la République d’Haïti (BRH), les transferts via les circuits formels ont franchi la barre des 4 milliards de dollars, soit une progression de 9,5 % en un an. La majeure partie de ces sommes provient des États-Unis.

Au-delà du chiffre annuel, la tendance récente est marquante. Manuel Orozco, directeur du programme Migration et envois de fonds à l’Inter-American Dialogue, constate une accélération significative. Entre janvier et juin de cette année, Haïti a déjà reçu 2,2 milliards de dollars, dont 1,8 milliard envoyé depuis les États-Unis. L’analyste précise : « Au cours des six premiers mois de 2024, les sorties depuis les États-Unis s’élevaient à 1,2 milliard de dollars. C’est une hausse de 50 % pour 2025. » Il ajoute : « Le volume total est supérieur de 20 % à celui de 2024. »

Au niveau des ménages, cette intensification se traduit également par une hausse du montant moyen des transferts : de 140 dollars en octobre 2024, il est passé à 160 dollars en août 2025. Pour Orozco, l’explication relève principalement du comportement des migrants face à l’incertitude : confrontés au renforcement des arrestations et à l’application stricte des mesures du Department of Homeland Security (DHS), nombre d’entre eux envoient « plus que d’habitude, par précaution et pour atténuer le risque au cas où ils seraient expulsés ». En d’autres termes, la crainte d’une expulsion pousse à augmenter les transferts — un phénomène qu’il observe également au sein d’autres diasporas latino-américaines et caribéennes.

Cette analyse rejoint celle du FMI, qui interprète la hausse des envois comme une réaction aux incertitudes entourant les politiques migratoires internationales. L’institution met toutefois en garde contre les risques à moyen terme : « En outre, d’éventuels changements des politiques étrangères d’immigration et commerciales pourraient réduire fortement les exportations et les envois de fonds », indique le rapport. Le FMI insiste sur l’effet cumulatif : « Ces évolutions pourraient accentuer l’effet négatif de la crise sécuritaire sur la production intérieure, aggraver la crise humanitaire et économique et accroître les pressions budgétaires. »

Sur le front migratoire, la situation a basculé ces derniers mois. L’administration du président Donald Trump a révoqué le parole humanitaire accordé sous la présidence Biden à des ressortissants d’Haïti, de Cuba, du Nicaragua et du Venezuela, tout en annonçant la suppression de protections plus anciennes dont bénéficiaient certains Haïtiens installés de longue date. Des recours juridiques ont été déposés contre l’affirmation officielle selon laquelle Haïti serait suffisamment stable pour des retours ; les organisations de défense se préparent à un durcissement potentiel à partir du 3 février 2026, date d’échéance annoncée de la désignation TPS du pays. Dans ce contexte, Orozco prévoit un possible retournement de tendance : « Pour 2026, j’anticipe un recul en raison du ralentissement de la migration haïtienne vers les États-Unis, d’un léger retour d’Haïtiens [au pays] et d’autres tendances. » Il chiffre l’ampleur potentielle : « Possiblement au moins 50 000 transactions de moins par mois sur un million en provenance des États-Unis. »

Pendant ce temps, la crise humanitaire s’intensifie. Dans son dernier bulletin d’alerte, le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que 51 % de la population souffre de faim aiguë, soit trois points de plus en un an, tandis que la malnutrition chez les enfants de moins de 5 ans a doublé, passant de 7 % à 14 % en deux ans, avec des taux locaux encore plus élevés. Le Bureau du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, souligne le manque criant de ressources : « La crise en Haïti souffre d’un sous-financement aigu », évaluant les besoins du PAM à 139 millions de dollars sur 12 mois pour atteindre les ménages les plus vulnérables.

Sur le plan budgétaire, les autorités haïtiennes ont finalement adopté un nouveau budget, avec un retard par rapport à l’ouverture de l’exercice fixée au 1er octobre. Au niveau macroéconomique, les réserves et la stabilité du taux de change mentionnées par le FMI constituent des indicateurs de stabilité relative, mais la croissance négative, la contraction de l’offre et les perturbations logistiques causées par les violences mettent à rude épreuve les capacités d’adaptation du pays. Les transferts familiaux, quant à eux, continuent d’amortir les chocs : dans un pays où plus de 70 % des ménages dépendent — à des degrés divers — de ces envois, ces flux permettent de financer les soins de santé, les frais de scolarité et les dépenses alimentaires.

L’inconnue demeure le calendrier politique américain.

Si les transferts ont, pour le moment, « renforcé » l’équilibre externe, la pérennité de ce soutien financier dépendra des conditions de vie des expatriés et du cadre juridique de leur présence. Une contraction de ces flux — résultant de restrictions migratoires, de retours forcés ou d’une baisse des montants unitaires — se répercuterait directement sur la consommation des ménages haïtiens et sur la trésorerie de l’économie nationale. À court terme, les données compilées par Orozco montrent toutefois un effort accru des expéditeurs, visant à « mitiger le risque » en cas d’expulsion, a fait remarquer Jacqueline Charles.

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Par la rédaction Avec un texte de Jacqueline Charles du Miami Herald.

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