Le commissaire divisionnaire Jean Alex Pierre-Louis a été installé vendredi comme nouveau directeur départemental de la Police nationale d’Haïti (PNH) dans l’Artibonite, l’un des départements les plus instables du pays.
Il succède à Jacques Ader, limogé après sa mise en cause dans la mort controversée de Wilford Ferdinand, alias « Tiwil », abattu par des policiers le 16 septembre dernier à Raboteau, dans la commune des Gonaïves.
Cet incident avait déclenché une vague d’indignation à travers le département. Les anciens compagnons de combat de Tiwil — figure locale du Front de Résistance des Gonaïves — ainsi que de nombreux habitants avaient manifesté leur colère en exigeant la révocation et l’arrestation du directeur départemental sortant. Pendant plusieurs jours, des barricades avaient été érigées sur la route nationale, paralysant la circulation entre les Gonaïves et Saint-Marc.
Comme à Port-au-Prince, les gangs armés contrôlent désormais de vastes zones de l’Artibonite, notamment dans le Bas-Artibonite, à Liancourt, Petite-Rivière, Verrettes et Gros-Morne, où les affrontements sont fréquents. Ces groupes, souvent liés à des réseaux opérant dans la capitale, imposent leur loi, pratiquent des enlèvements, pillent les convois et rançonnent les agriculteurs.
En cinq ans, cinq directeurs départementaux se sont succédé à la tête de la police dans la région, sans parvenir à endiguer la spirale de la violence. Ce roulement constant a contribué à affaiblir l’autorité de la PNH, déjà minée par le manque de ressources, d’équipements et de soutien logistique. Plusieurs commissariats ont été incendiés ou abandonnés sous la pression des groupes armés, notamment à Liancourt et à Savien.
« Nous manquons cruellement de moyens pour faire face à des gangs mieux armés et mieux organisés », confiait récemment un policier sous couvert d’anonymat.
Ancien directeur départemental de l’Ouest en 2020, Jean Alex Pierre-Louis est réputé pour sa fermeté et sa proximité avec la base policière. Lors de son installation, il a promis de « consentir tous les sacrifices nécessaires » avec ses agents pour « rétablir l’ordre public » et « traduire en justice les auteurs d’actes barbares ».
« L’Artibonite ne doit pas rester une zone de non-droit. La population a trop souffert », a-t-il déclaré lors de son allocution d’investiture. Il a également annoncé un renforcement de la coordination entre la police, les autorités locales et la justice pour relancer des opérations conjointes de sécurisation dans les zones rurales.
Selon plusieurs sources internes à la PNH, le nouveau directeur souhaite réorganiser les unités territoriales et réaffecter une partie des effectifs vers les zones les plus exposées, notamment entre L’Estère et Saint-Marc, un axe stratégique pour le transport de marchandises entre le Nord et Port-au-Prince.
Un renfort matériel symbolique mais insuffisant
La veille de sa nomination, plusieurs véhicules blindés légers ont été livrés à la direction départementale. Un engin a été déployé à Gros-Morne, un autre à Petite-Rivière, et d’autres dans le Bas-Artibonite. Cette livraison s’inscrit dans le cadre du nouveau plan de redéploiement national annoncé par le haut commandement de la PNH, soutenu par l’assistance logistique du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH).
Cependant, de nombreux observateurs estiment que ces renforts restent dérisoires face à la puissance de feu et à la mobilité des groupes armés. « Ce n’est pas un ou deux blindés qui vont changer la donne », a commenté un membre de la société civile des Gonaïves. « Nous avons besoin d’une stratégie durable, pas de gestes symboliques. »
Dans les marchés et les quartiers populaires des Gonaïves, le sentiment dominant reste celui de fatigue et de méfiance. Beaucoup de citoyens disent ne plus croire aux changements de commandement. « Chaque nouveau directeur promet la sécurité, mais la situation empire », déplore une commerçante de Raboteau.
Le climat d’insécurité a aussi paralysé la production agricole de la vallée de l’Artibonite, jadis le grenier du pays. Des milliers d’hectares de riz et de maïs restent inexploitables en raison de l’insécurité persistante, aggravant la crise alimentaire dans tout le pays.
La nomination de Jean Alex Pierre-Louis est perçue comme un test majeur pour la PNH, mais aussi pour le gouvernement de transition, critiqué pour son incapacité à rétablir l’autorité de l’État hors de la capitale.
La réussite du nouveau chef dépendra de son aptitude à mobiliser les troupes, à rétablir la confiance des citoyens et à obtenir un appui logistique durable du pouvoir central.
Tous les regards sont désormais braqués sur lui. Son succès ou son échec pourrait peser lourd dans la bataille nationale pour la reconquête du territoire et le rétablissement de la sécurité publique.
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Par Jamesson JN-Baptiste