Lorsqu’il a posé le pied sur le tarmac de l’aéroport du Cap-Haïtien au début du mois, Edrisse Michelin, 32 ans, n’a pas eu l’impression de rentrer chez lui.
L’homme, arrivé aux États-Unis à l’âge de trois ans et devenu père de famille dans le sud de la Floride, a été expulsé après avoir purgé une peine fédérale.
Son retour en Haïti, un pays qu’il ne connaît presque plus, illustre de manière brutale les conséquences humaines des expulsions dans un contexte où l’avenir du Temporary Protected Status (TPS) demeure incertain pour des centaines de milliers de familles haïtiennes.
Selon Black Enterprise, Michelin avait grandi et étudié en Floride, travaillé comme agent immobilier et courtier en assurances, mené une vie familiale stable et vécu en résidence permanente légale.
Son quotidien a basculé en 2020 lorsqu’il a été reconnu coupable d’avoir obtenu frauduleusement un prêt du programme fédéral PPP — une faute qu’il décrit comme “l’erreur d’une vie”.
Après plus de deux ans en prison, il a été transféré dans un centre de détention de l’immigration, puis placé sur un vol d’expulsion comportant environ 120 personnes, selon CBS News.
Un retour vécu comme une rupture totale
Pour Michelin, le choc est immense. « Je me réveille ici sans avoir l’impression d’être chez moi. Tout m’est étranger », rapportent Black Enterprise dans un entretien qu’il leur a accordé.
Il parle difficilement le créole, n’a plus aucun repère familial structuré en Haïti et navigue dans un pays où ses premiers souvenirs d’enfance se sont effacés depuis longtemps.
Même la procédure d’expulsion, raconte-t-il, a été une épreuve : menottes durant des heures, sécurité renforcée, transferts successifs. À leur arrivée au Cap-Haïtien, les personnes expulsées auraient reçu une modeste somme d’argent avant d’être livrées à elles-mêmes ou à des proches.
Son épouse, citoyenne américaine, a bravé les risques sécuritaires pour venir l’accueillir. Le couple tente désormais de s’adapter dans un pays où les déplacements sont entravés par des gangs, les opportunités économiques sont rares, les services publics fonctionnent au ralenti, et les infrastructures médicales sont fragilisées.
Selon un membre de sa famille cité par CBS News, « Même pour quelqu’un né ici, la vie est difficile. Pour quelqu’un qui revient après trente ans, c’est un choc total. »
Leur famille recomposée compte huit enfants, dont certains n’ont pas vu leur père depuis des années. L’épouse de Michelin publie régulièrement leur situation sur les réseaux sociaux, tentant de maintenir un semblant de normalité.
Une histoire qui résonne largement parmi les Haïtiens des États-Unis
Le cas d’Edrisse Michelin se déroule alors que plus de 330 000 Haïtiens bénéficient aujourd’hui du TPS, un statut humanitaire accordé en raison de la situation instable en Haïti.
Or ce statut expire le 3 février, et l’incertitude plane quant à son renouvellement.
La perspective de milliers d’expulsions inquiète profondément la diaspora. Pour ceux qui, comme Michelin, ont passé presque toute leur vie aux États-Unis, un renvoi forcé signifie perte de repères culturels et linguistiques, ruptures familiales parfois irréversibles, réinstallation dans un pays en crise profonde, et risque d’exclusion sociale ou économique immédiate.
« Les ressources sont limitées ici. Si on renvoie des milliers de gens d’un coup, beaucoup seront perdus dès l’arrivée », avertit Michelin.
Aujourd’hui, Michelin et sa famille tentent d’obtenir des visas dans un pays tiers, espérant une réunification ailleurs. Mais les options se réduisent : de nombreux États restreignent les demandes en provenance d’Haïti en raison de la situation nationale explosive. En attendant, il résume son existence comme un entre-deux : « Je suis coincé entre ce que j’ai connu toute ma vie et un pays auquel je n’appartiens plus vraiment. »
Son cas met en lumière une réalité souvent invisible : derrière chaque expulsion se cache une vie entière déracinée. Et pour les familles haïtiennes vivant sous TPS, la peur de subir le même sort ne fait que grandir.
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Basé sur des informations de CBS News et Black Enterprise



