Le gouvernement burkinabè dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré a décliné une proposition américaine qui visait à faire atterrir sur son territoire des personnes expulsées des États-Unis, y compris des individus non ressortissants du Burkina Faso dans le cadre d’un nouveau programme de renvoi.
Ce refus, rendu public jeudi, a été présenté par le ministre des Affaires étrangères, Karamoko Jean-Marie Traoré, lors d’une intervention télévisée au cours de laquelle il a déclaré que la demande américaine « a été jugée indécente » et qu’elle était incompatible avec les principes défendus par le gouvernement de transition.
« Naturellement, cette proposition, que nous avons jugée indécente à l’époque, est totalement contraire à la valeur de dignité qui fait partie de l’essence même de la vision du capitaine Ibrahim Traoré », a souligné le chef de la diplomatie burkinabè, faisant référence à l’orientation souverainiste du président de la transition.
Cette annonce survient dans un contexte de tensions bilatérales.
Quelques heures plus tôt, l’ambassade des États-Unis à Ouagadougou avait suspendu la plupart des services consulaires de délivrance de visas pour les ressortissants burkinabè, les invitant désormais à déposer leurs demandes au Togo.
Aucune explication détaillée n’a été communiquée publiquement par la mission diplomatique américaine, mais le ministre Traoré a évoqué l’hypothèse d’une « tactique de pression », mentionnant une note américaine qui accuse certains ressortissants burkinabè de violations des conditions de leurs visas.
Selon les informations divulguées et rapportées par Kofi Oppong Kyekyeku, plus de quarante personnes expulsées auraient été transférées vers l’Afrique depuis juillet, dans le cadre d’accords discrets conclus par Washington avec au moins cinq pays du continent.
Des organisations de défense des droits humains affirment que les États-Unis auraient proposé plusieurs millions de dollars d’aide à certains gouvernements, dont l’Eswatini, le Rwanda et le Ghana, en contrepartie de leur accord pour accueillir des personnes expulsées.
Ce dispositif, qui externalise une partie de la gestion des expulsions, alimente un débat intense sur la transparence de ces arrangements, la responsabilité démocratique et le respect des normes internationales de protection.
À Ouagadougou, la décision de refus est présentée comme un acte de souveraineté et de cohérence politique.
Dans un contexte marqué par une urgence sécuritaire et des pressions humanitaires importantes, les autorités estiment ne pas pouvoir servir de pays d’accueil pour des personnes sans lien juridique avec le Burkina Faso. Dans les cercles diplomatiques, on souligne toutefois l’absence de garanties opérationnelles solides concernant l’identification, la prise en charge et le suivi des personnes qui auraient été débarquées, ainsi que le risque d’un contentieux juridique en matière de responsabilité internationale si des non-citoyens étaient relocalisés sans cadre conventionnel clair.
La suspension des services consulaires à Ouagadougou et leur redirection vers Lomé ont des répercussions immédiates pour les étudiants, travailleurs et familles engagés dans des démarches auprès des autorités américaines.
Les spécialistes du droit migratoire anticipent des délais allongés, une augmentation des coûts (déplacements, hébergement) et des risques de rupture dans les projets de mobilité légale. Du côté américain, des sources proches des dossiers d’expulsion présentent ces réorganisations régionales comme des instruments administratifs utilisés lorsque des désaccords politiques surviennent avec un pays partenaire, a rapporté Kofi Oppong Kyekyeku.
Dans les milieux économiques et universitaires burkinabè, les préoccupations portent sur des effets en chaîne : difficultés de recrutement et de mobilité académique, incertitudes pour les programmes d’échanges et de bourses, ralentissement de certains projets de coopération. Les chambres consulaires et les universités pourraient devoir réorganiser en urgence des calendriers et des itinéraires, avec un impact sur les coûts et la prévisibilité des procédures.
Les ONG de défense des droits humains dénoncent des arrangements d’expulsion négociés au cas par cas, assortis d’incitations financières destinées à obtenir l’accord d’États africains. Elles y voient une externalisation de la contrainte migratoire, qui transférerait le fardeau politique et humanitaire vers des pays dont les systèmes d’accueil sont déjà sous pression. Les juristes consultés soulignent, quant à eux, un vide normatif : en l’absence d’accords multilatéraux précisant le statut, la protection et les droits procéduraux des personnes expulsées, le cadre de ces transferts demeurerait fragile et exposé à des contestations juridiques.
Dans le cas du Burkina Faso, les autorités revendiquent une ligne rouge autour de la dignité et de la cohésion sociale, en s’appuyant sur la « vision » du capitaine Ibrahim Traoré évoquée par le ministre Traoré.