Depuis plusieurs décennies, les politiques commerciales et agricoles des États-Unis ont gravement affecté l’agriculture haïtienne, transformant un pays autrefois autosuffisant en un État fortement dépendant de l’aide étrangère.
Un grand reportage de PBS News met en lumière les conséquences dramatiques des décisions politiques américaines sur l’économie haïtienne, en particulier dans le secteur agricole.
Tout a commencé en 1986 lorsque le Fonds monétaire international (FMI) a accepté d’octroyer d’importants prêts à Haïti, en échange d’une réduction drastique des tarifs douaniers sur les importations. Parallèlement, le gouvernement américain a commencé à subventionner massivement les producteurs de riz aux États-Unis, leur permettant ainsi d’exporter leur production à des prix défiant toute concurrence, a fait remarquer PBS News. « Les politiques commerciales américaines ont forcé le gouvernement haïtien à abaisser ses tarifs sur les biens étrangers, permettant ainsi aux agriculteurs américains d’exporter leurs récoltes à bas prix, mais rendant impossible pour les Haïtiens de consommer la nourriture produite localement », a révélé PBS News dans son reportage spécial sur Haïti.
L’impact a été dévastateur pour les riziculteurs haïtiens. Le riz importé des États-Unis, appelé localement « Du riz Miami », a inondé le marché à des prix si bas que les producteurs nationaux ne pouvaient plus rivaliser. Albert Pierre Joseph, fils de riziculteur, témoigne : « La réduction des tarifs douaniers sur le riz pendant mon enfance m’a beaucoup affecté. Mon père ne pouvait plus vendre son riz à un prix lui permettant de subvenir à nos besoins », dit-il, regrettant la situation.
Bill Clinton : un regret tardif
En 1994, sous la présidence de Bill Clinton, un nouvel accord a encore abaissé les droits de douane haïtiens sur les importations de 35 % à seulement 3 %. Ce choix était présenté comme une stratégie pour industrialiser Haïti, mais il a eu l’effet inverse, a tenté de justifier l’ancien président américain Bill Clinton dans un clip diffusé dans le grand reportage de PBS News. Quinze ans plus tard, Bill Clinton lui-même a reconnu son erreur en déclarant : « Depuis 1981, les États-Unis ont suivi une politique selon laquelle les pays riches, qui produisent beaucoup de nourriture, devraient la vendre aux pays pauvres et les soulager du fardeau de produire eux-mêmes leur propre nourriture. Cela n’a pas fonctionné… C’était une erreur », a avoué Bill Clinton. Un regret venu trop tard dans un monde trop vieux pour un pays agenouillé par les politiques américaines et d’autres pays de la communauté internationale. Malgré cet aveu, les efforts pour rétablir une politique plus protectrice envers l’agriculture haïtienne ont échoué, et le riz américain continue d’affluer massivement dans le pays.
L’impact de ces politiques ne s’est pas limité à l’économie. L’alimentation des Haïtiens a radicalement changé. Autrefois consommé deux à trois fois par semaine, le riz est désormais la base de l’alimentation quotidienne, a fait remarquer PBS News, citant une étude de l’Université du Michigan qui a révélé que le riz américain contient des niveaux d’arsenic qui, à forte consommation, pourraient entraîner des cancers et des troubles d’apprentissage. « Comment se sentir quand on sait que l’on consomme de l’arsenic ? » s’interroge un agriculteur interrogé par PBS News. Mais il n’aura jamais de réponse à cette question, car la correction de leurs « erreurs » ou politiques destructrices de la production locale haïtienne n’est pas une priorité pour les autorités américaines. « Il faut un grand effort au niveau national et international, car non seulement nous ne produisons pas assez de nourriture, mais celle que nous importons rend les gens malades », a plaidé cet agriculteur.
L’aide alimentaire : un cercle vicieux
Ironiquement, l’aide internationale, censée soulager la famine, contribue à maintenir Haïti dans un état de dépendance. Une partie de l’aide alimentaire américaine est fournie sous forme de « denrées en nature », c’est-à-dire des sacs de nourriture produits aux États-Unis et envoyés en Haïti. Ces distributions affaiblissent encore davantage les producteurs locaux qui ne peuvent rivaliser avec des denrées gratuites.
Selon Thomas Deville, directeur du Programme alimentaire mondial en Haïti : « Nous préférerions nous approvisionner à 100 % localement, mais Haïti n’est pas encore autosuffisant. Il faut du temps pour parvenir à un tel niveau, ainsi que des programmes de renforcement des capacités et des investissements dans les infrastructures agricoles. »
Une politique qui bénéficie aux intérêts américains
Si l’aide alimentaire profite peu à Haïti, elle enrichit certains acteurs américains. Une loi des années 1950 impose que la moitié des aides alimentaires soit transportée par des navires battant pavillon américain. Selon une étude de l’American Enterprise Institute, cette exigence coûte environ 50 millions de dollars par an, qui pourraient être utilisés pour nourrir un à deux millions de personnes supplémentaires dans le monde.
Stephanie Mercier, ancienne économiste en chef du Comité de l’Agriculture du Sénat américain, explique : « Les grands gagnants de cette politique sont les compagnies américaines de transport maritime, qui facturent des tarifs d’au moins 60 % supérieurs à ceux des transporteurs étrangers. »
Sous la présidence actuelle de Donald Trump, la situation ne s’est pas améliorée. En suspendant temporairement l’aide internationale au début de son mandat, il a aggravé la crise alimentaire en Haïti. En outre, l’administration Trump a maintenu les politiques agricoles qui favorisent les exportateurs américains au détriment des agriculteurs haïtiens.
Haïti reste donc pris au piège d’un système qui le prive de sa souveraineté alimentaire, politique et de son développement économique, tout en enrichissant certains intérêts économiques américains, a fait savoir PBS News dans son dossier spécial consacré à la situation politique, économique et sociale d’Haïti.