L’administration Trump envisage de retirer le statut légal aux immigrés bénéficiaires de certains programmes sociaux

Emmanuel Paul
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Emmanuel Paul
Journalist/ Storyteller
Emmanuel Paul est un journaliste chevronné et un conteur accompli, animé par un engagement profond envers la vérité, la communauté et l’impact social. Il est le...

L’administration Trump vient de relancer l’un des dossiers les plus sensibles de la politique migratoire américaine : la possibilité de refuser une carte verte à des immigrants qui utilisent des programmes sociaux pourtant légaux.

Un projet de règlement déposé par le Department of Homeland Security (DHS) au Federal Register prévoit d’abroger la règle adoptée en 2022 sous Joe Biden et d’introduire une approche beaucoup plus discrétionnaire de la notion de “charge publique”.

Selon le magazine américain Newsweek, le texte intitulé “Public Charge Ground of Inadmissibility” doit être officiellement publié le 19 novembre et ouvre la voie à un retour à des critères plus larges pour évaluer si un étranger risque de dépendre, aujourd’hui ou demain, de l’aide publique.
Les personnes concernées sont les candidats à la résidence permanente, mais aussi, potentiellement, certains demandeurs de visas.

Ce que la règle Biden avait changé

La notion de “charge publique” figure depuis des décennies dans la loi sur l’immigration et la nationalité. Elle permet de déclarer “inadmissible” un immigrant jugé trop susceptible de vivre aux frais de l’État.
En 2019, lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà durci ce critère en permettant aux autorités d’additionner une longue liste de prestations non monétaires : Medicaid, bons alimentaires (SNAP), aides au logement, etc.

Cette approche avait provoqué un “effet de refroidissement” documenté par plusieurs études : des familles immigrantes parfois citoyennes américaines, ont renoncé à des soins ou à une aide alimentaire, de peur de compromettre leur avenir migratoire. Confrontée à une avalanche de recours et à la pandémie de COVID-19, l’administration Biden a cessé d’appliquer la règle en 2021, puis l’a formellement remplacée en 2022.
La nouvelle réglementation limitait le test de charge publique aux aides en espèces destinées au maintien du revenu et à l’hébergement de longue durée financé par le gouvernement, excluant clairement la plupart des prestations de santé, de nutrition et de logement.

Ce que propose aujourd’hui le DHS

Le projet dévoilé cette semaine ne se contente pas de revenir à la règle de 2019 : d’après Newsweek et Politico, le DHS propose de supprimer purement et simplement la réglementation Biden, puis de laisser l’USCIS – l’agence en charge des dossiers d’immigration – définir, ultérieurement, des lignes directrices internes. En pratique, les officiers auraient davantage de latitude pour décider, dossier par dossier, si un demandeur peut être considéré comme une charge publique.

Selon Axios, l’administration envisage de permettre aux agents de prendre en compte non seulement l’utilisation actuelle de prestations publiques, mais aussi l’historique médical et économique du demandeur ou de sa famille, y compris certaines pathologies ou situations considérées comme « à risque ». Des analystes estiment qu’une version très restrictive de cette politique pourrait conduire à plusieurs centaines de milliers de refus de cartes vertes ou de visas chaque année.

Pour justifier ce revirement, la Maison-Blanche met en avant un argument de « responsabilité individuelle » : les prestations sociales, insiste le DHS, ne doivent pas « inciter à l’immigration » et les nouveaux arrivants devraient être en mesure d’assurer leur subsistance sans recourir de manière significative au filet de sécurité. D’après Politico, le gouvernement avance même des économies potentielles de plusieurs milliards de dollars par an si les familles se retirent de certains programmes de santé et d’aide alimentaire.

Un « test de richesse » dénoncé par les défenseurs des immigrés

Du côté des organisations de défense des droits des immigrés, le projet est décrit comme une tentative assumée de rétablir un « test de richesse » pour accéder à la résidence permanente. Dans un communiqué publié à Washington, la présidente du National Immigration Law Center, Kica Matos, accuse l’administration de vouloir ressusciter un dispositif « régressif » destiné, selon elle, à semer la peur et la confusion dans les communautés immigrées. Elle dénonce une vision d’un pays réservé « à ceux qui sont blancs et riches », qui entrave la capacité des familles à se soigner ou à se nourrir sans craindre des conséquences migratoires.

La coalition Protecting Immigrant Families, qui regroupe de nombreux réseaux de santé et d’aide sociale, va plus loin. Dans une analyse publiée en ligne, elle estime que la proposition « met en danger la santé et le bien-être économiques de la nation » en décourageant des personnes pourtant éligibles – y compris des citoyens américains vivant dans des foyers à statut mixte – de demander une aide à laquelle elles ont légalement droit. La coalition souligne que le texte ouvre la porte à la prise en compte de l’utilisation de services publics par des membres de la famille et même à des critères comme l’obésité ou d’autres caractéristiques personnelles, ce qui, à ses yeux, institutionnalise la discrimination.

Des défenseurs du droit au logement, comme la National Low Income Housing Coalition, rappellent que ce débat survient alors que le pays sort à peine de la plus longue fermeture du gouvernement fédéral de son histoire et de réductions d’aides à la nourriture, au logement et aux soins. Dans ce contexte, alerter les familles sur un risque migratoire lié à la demande d’un bon de logement ou d’une couverture Medicaid revient, selon eux, à aggraver l’insécurité sociale de millions de personnes.

Des exemptions… et beaucoup d’incertitudes

Le DHS insiste sur le fait que certains groupes resteront en dehors du champ de la charge publique : réfugiés, bénéficiaires de l’asile, survivants de la traite, certains enfants et vétérans, notamment. La loi fédérale prévoit déjà ces exemptions, que le projet ne remet pas en cause, et aucune modification immédiate ne s’applique aux dossiers en cours : il s’agit d’une proposition, qui doit encore passer par une période de consultation publique.

Pourtant, les praticiens redoutent surtout ce que l’on ne voit pas dans le texte : l’effet psychologique. Lors de la précédente vague de durcissement en 2019, des cliniques communautaires avaient observé une baisse de fréquentation de patients immigrés, y compris là où la règle ne s’appliquait pas. Les experts craignent que ce scénario se répète, avec un impact direct sur la santé publique et sur les finances des hôpitaux de sécurité, qui absorbent souvent les soins non remboursés.

Prochaine étape : bataille politique et juridique annoncée

Le projet de règle figure déjà à la section « Public Inspection » du Federal Register et doit entrer, dans les prochains jours, dans la phase formelle de « notice and comment ». Pendant cette période, associations, élus locaux, organisations professionnelles et simples citoyens pourront envoyer des commentaires au DHS. L’administration devra ensuite répondre à ces observations avant de publier une version finale, susceptible d’être attaquée devant les tribunaux fédéraux.

Pour l’heure, les organisations de défense des immigrés se préparent à une double bataille : médiatique, pour informer les familles que rien ne change immédiatement et les encourager à ne pas renoncer sans conseil juridique à des prestations vitales ; et judiciaire, en vue de contester, le moment venu, une éventuelle règle finale jugée abusive. Le débat sur la « charge publique », loin d’être purement technique, s’impose à nouveau comme un marqueur politique majeur de la manière dont les États-Unis conçoivent l’accueil des nouveaux arrivants : comme une ouverture conditionnée à la richesse, ou comme un projet de société qui n’exclut pas les plus vulnérables.

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