Canada : hausse record des renvois de demandeurs d’asile vers les États-Unis malgré le risque de déportations vers des pays tiers

Emmanuel Paul
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Le gouvernement canadien intensifie ses renvois de demandeurs d’asile vers les États-Unis dans le cadre de l’Accord sur les tiers pays sûrs (ATPS), et ce, alors même que Washington reconnaît qu’une partie de ces personnes pourrait être expulsée vers des pays tiers.

Selon des données officielles communiquées par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), 3 282 demandeurs d’asile ont été refoulés entre janvier et août 2025. À la même période en 2024, le chiffre s’élevait à 2 481, ce qui représente une hausse de plus de 30 %, a fait remarqué Reuters.

Le mois de juillet a marqué un record historique avec 789 renvois, le plus élevé depuis au moins une décennie, a souligné le journal Reuters.

Cette tendance s’explique par l’extension de l’ATPS en 2023, qui a élargi son champ d’application à l’ensemble de la frontière terrestre canado-américaine.

L’accord, signé en 2004 et entré en vigueur en 2005, repose sur un principe simple : les demandeurs d’asile doivent déposer leur requête dans le premier des deux pays (États-Unis ou Canada) par lequel ils entrent. Toutefois, des exceptions sont prévues, notamment pour les personnes apatrides ou celles disposant de proches parents au Canada.

Or, selon plusieurs avocats de l’immigration, un certain nombre de personnes renvoyées entraient dans ces catégories et auraient dû être autorisées à présenter leur demande au Canada.

Ottawa garde le silence, Washington assume

Interrogée par la presse, une porte-parole de l’ASFC a refusé d’expliquer pourquoi le nombre de refoulements augmentait aussi fortement.

Aux États-Unis, le Département de la Sécurité intérieure (DHS) a en revanche reconnu son intention de déporter certains de ces migrants non pas vers leur pays d’origine, mais vers un pays tiers, si leur demande d’asile est rejetée et que leur pays refuse de les reprendre.

« Si leur pays d’origine ne veut pas les accepter, nous prendrons des dispositions pour qu’ils soient envoyés dans un autre pays », a expliqué par courriel Tricia McLaughlin, secrétaire adjointe du DHS.

Une autre porte-parole canadienne a précisé que la responsabilité de l’ASFC cessait dès que les demandeurs passaient sous la garde des autorités américaines, évacuant ainsi toute responsabilité d’Ottawa sur les déportations ultérieures.

Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, le président Donald Trump a relancé sa politique d’expulsions accélérées, y compris vers des pays tiers. Il soutient que cette stratégie permet de réduire la pression migratoire et de dissuader les demandes infondées.

Pourtant, cette approche soulève de sérieuses préoccupations au regard du droit international, qui interdit de renvoyer un demandeur d’asile vers un pays où il risque des persécutions – le principe du non-refoulement, inscrit dans la Convention de Genève de 1951.

Témoignages de migrants et batailles judiciaires

L’agence Reuters a pu recueillir les témoignages d’avocats et de proches de deux personnes renvoyées par le Canada et détenues aux États-Unis, toutes deux menacées d’expulsion vers un pays tiers.

Parmi elles figure Rahel Negassi, une Érythréenne âgée de 50 ans. Installée aux États-Unis depuis vingt ans, elle travaillait comme infirmière grâce à des autorisations temporaires, Washington n’ayant jamais pu la renvoyer vers l’Érythrée. Munie de tests ADN prouvant qu’elle a un frère vivant en Ontario, elle s’est présentée à la frontière canadienne.

Malgré ces preuves, elle a été refoulée et placée en détention au Texas pendant deux mois. Son avocate a dû faire appel pour qu’elle soit finalement admise au Canada afin d’y poursuivre sa demande d’asile.

« Les enjeux sont devenus extrêmement élevés, parce que si quelqu’un est renvoyé, nous savons que la détention est plus que probable », a déclaré son avocate, Heather Neufeld à Reuters. 

Un autre cas concerne un Palestinien apatride qui, selon ses proches, a également été renvoyé aux États-Unis par le Canada et menacé de déportation vers un pays tiers.

Depuis sa création, l’ATPS fait l’objet de vives critiques de la part des ONG et des experts en droit. Ils estiment qu’il repose sur l’idée – discutable – que les États-Unis constituent toujours un  » pays sûr » pour les réfugiés.

Or, la politique américaine en matière d’asile, particulièrement sous les administrations Trump, est jugée beaucoup plus restrictive que celle du Canada. Les risques de détention prolongée, voire d’expulsion vers des pays tiers, soulèvent des doutes sérieux sur la conformité de l’accord avec les normes internationales.

Pressions politiques et enjeux humanitaires

Le gouvernement canadien, dirigé par le Premier ministre Mark Carney, défend pour l’instant l’ATPS comme un mécanisme de coopération essentiel avec Washington pour gérer la frontière commune. Toutefois, la hausse spectaculaire des refoulements en 2025 met Ottawa sous pression.

Des associations de défense des réfugiés, comme Amnesty International Canada et le Conseil canadien pour les réfugiés, appellent à une suspension immédiate de l’accord. Elles rappellent que le Canada a historiquement joué un rôle de refuge et que l’actuelle politique fragilise cette image internationale.

Sur le plan humanitaire, la situation est alarmante : de nombreuses familles se retrouvent séparées, et certains demandeurs, comme Rahel Negassi, passent des semaines en détention dans des conditions difficiles, alors même qu’ils devraient bénéficier d’une protection.

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Source: Reuters

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